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SAISONNIER MON AMOUR !

Cet article verse dans le plus complet respect des communautés LGBTQIA+. Pour être tout à fait raccord avec l’air du temps, on a même rajouté XY et Z pour n’oublier personne. Et 0 pour ceux qui n’ont pas du tout de sexualité afin que personne ne se sente visé pour ce manque d’appétence vitale. Nous sommes pour l’inclusion, comme le disait mon pote dans la boite de nuit de Rio, un maelstrom de perdition : le D (je sais, ce n’est pas joli-joli, pour ceux qui ont connu ce lieu de stupre moite…). 

Cet article contient, en outre, des propos à caractère violent susceptibles de heurter la sensibilité du public. Certaines vannes de mauvais gout peuvent provoquer par effet stroboscopique, des épilepsies. Sortez les sacs en plastique. Comme le dit Gaspard Proust dans son avertissement en ouverture de son dernier bouquin, Mea Culpa : « c’est normal, c’est fait pour ». On a l’entière liberté de se priver d’une partie de notre public vu que nous n’en n’avons pas. 

Des soutiers magnifiques !

Revenons à nos moutons. La question du jour : est-ce bien raisonnable de confier les clés des stations de skis aux saisonniers ? Ces soutiers magnifiques, longtemps méprisés, humiliés, ghethoïsés dans des mansardes insalubres sont devenus des denrées rares. Les offres d’emploi se font insistantes, voire désespérées pour dénicher la perle rare saisonnière qui voudra bien être à peine polie avec la clientèle, savoir à peine entretenir une paire de skis, ne pas oublier entre le bar et la table la commande de Perrier tranche et daigner mettre du déo sous les bras à contre cœur… Car la situation est inexplicable, comment se fait-il, qu’à peine payés au-dessus du Smic, de tels postes ne soient pas pourvus ? Pourquoi notre jeunesse qui ne cesse de se revendiquer protectrice de la planète, adepte du wellness naturel, des bougies Nature & Déconvenue, ne se précipite-t-elle pas pour bénéficier du bon air pur de nos stations ? À cause des vapeurs de fart cancérigènes dans les locaux de locations de skis ? En tout cas, même s’il reste un grand nombre de postes vacants, les rouages, la machine à cash flow, « l’or blanc » comme l’éructent les ski-bashers, et pour parler clair, le business des stations tourne grâce à eux : les saisonniers. On devrait leur élever une statue à l’entrée de chaque station, sur des parterres de flouz, plutôt que de planter des œuvres moisies comme celle de Lorenzo Quinn à Courchevel 1850.

Le billet de 500 est volatile, joueur, taquin même… 

Le saisonnier est un nihiliste, il est capable d’abandonner sa Clio II sur un parking d’altitude en décembre et lancer un avis de recherche fin avril. Au mieux, il la retrouve sous un tas de neige, batterie HS, la portière violentée par une lame de chasse-neige, de l’urine de renard des neiges sur les quatre pneus dégonflés. Au pire, il doit écouter les conneries grasses de la police municipale qui a embarqué sa caisse car le parking était réquisitionné pour un marché de produits locaux (80 euros le kilos de beaufort, 75 euros la bouteille de génépi à l’alcool de pharmacie, marmottes siffleuses fabriquées en Chine, saucissons de Savoie au porc allemand, grands crus de Savoie pour décoller la tapisserie…). Le saisonnier est un contemplatif béat, il voit le pognon voleter autour de lui, s’approcher, lui faire de l’œil, et s’éloigner… Le billet de 500 est volatil, joueur, taquin. À défaut d’être convié aux soirées de l’ambassadeur (directeur d’OT, pontes qui possèdent la moitié des bouclards de la station, directeur des remontées mécaniques, politicard en vue qui vient gratter des forfaits pour sa famille et son amante, pique-assiettes en moon boots…), le saisonnier a une vie sociale intense… mais un étage dessous. Contrairement à cette vision nupéenne, ce n’est pas non plus, à franchement parler, l’enfer de Dante. Le pack de 40 bières est solidement ancré sur le rebord de fenêtre (merde la bière a gelé !) de sa cage à lapin. Tous les soirs, c’est apéro, le sky coule à flots, la téquila achetée en promo au Carrouf Market est surnommée « petit lait ». La Dolce Vita version moufles et sous-vêtements techniques. La vie en mode : on se marre, on profite, on laisse tomber la neige car demain il fera jour sur les pistes, du bouddhisme d’altitude. En saison, on fait donc le plein de globules rouges et de gamma GT. L’avantage de connaitre les autres saisonniers, de payer les tournées ? On finit par connaitre les physionomistes à l’entrée des boites, comme l’une des 3 Vallées où un simple mot de passe permet non seulement d’entrer dans le Saint des saints mais d’avoir accès à un verre où trempent des psilos : que du naturel, ramassé dans les alpages à l’automne, le cul en l’air. De la défonce bio sans chimie Breaking Bad. Un coup à voir un python albinos allongé lascivement sur le bar et des jeunes filles accortes, tarifées, partout. 

Un skieur sur deux est une femme en vacances

Le saisonnier est schizophrène : il lorgne sur la partie de ski nautique à l’arrière de la galère romaine mais il doit aussi faire semblant de donner quelques coups de rames afin d’éviter les coups de fouets (sauf à la soirée avec la femme du maire gainée de cuir) et contribuer à l’avancée de l’esquif. Il est là pour gagner sa croute (rarement bio), ses boites de cassoulet, ses chips, partager les odeurs de chaussettes dans le studio aussi grand qu’un placard à balais espagnols… mais aussi et surtout pour tracer. Fatigué ou pas, défoncé ou pas, troubles gastriques ou pas sur le paillasson du voisin : demain c’est poudreuse. Car le saisonnier est à l’instar du pisteur secouriste : le seul et le vrai passionné de glisse de la station. Les autres ne sont que des comptables, des caisses enregistreuses. Le saisonnier a un style de merde mais il a la passion. Il se régale et ça se voit. Il devrait être remboursé par la sécu. Dans les cimes, il est au Nirvana, dans un état de félicité tranquille. Il s’offre des lignes, la dernière richesse quasi gratuite de ce grand souk mondialisé. Il a aussi l’assurance de pratiquer le polyamour chaque semaine, un avantage en nature dont le CNPC ne lui a pourtant jamais parlé : dans les grandes stations, tous les samedis, des milliers de touristes partent et arrivent, et comme un skieur sur deux est une femme en vacances… Il croit qu’il va conclure, et il le fait ! Le risque ? Surtout ne pas attraper un psilo vénéneux ou prendre le bourre pif d’un mari scandaleusement jaloux, car on a beau être en altitude avec un air moins dense qu’ailleurs, ça fait toujours terriblement mal. Skier avec un masque de ski et des mèches en coton dans les narines entaille irrémédiablement un style déjà louvoyant. 

Le moniteur déroulait du câble avec sa femme…

Les stations n’échappent pas à la lutte des classes, le haut du panier du saisonnier c’est le moniteur de ski, conformément à la sale blague Rires & Chansons : « Quelle est la différence entre Dieu et un moniteur de ski ? Réponse : Dieu ne se prend pas pour un moniteur de ski ». Le seigneur des pistes jouit d’une aura inentamée. C’est d’ailleurs curieux, alors que le monde part en brioche, le prestige du moniteur semble, lui, inaltérable. La tenue tricolore/patriote, l’after shave, la ceinture à clous, la housse de protection sur son masque, la maitrise du feston stemmé, la maestria dans l’art complètement désuet de la descente aux flambeaux ? Il reste un grand mystère de ce monde comme le parti LR ou les derniers adhérents du PS. Ceci vaut pour avertissement : vous qui avez, en toute confiance, payé des cours de ski à votre femme, des leçons particulières qui plus est, sachez que le moniteur est généralement extrêmement dévoué à sa tâche, qu’il peut (Doit ? Doigt ?) lui faire découvrir des dimensions nouvelles, verticales et horizontales. Ainsi, un moniteur de ski de Chamrousse, dument payé par le mari, déroulait du câble avec sa femme, tous les jours pendant une semaine, il pratiquait aussi le tourniquet ghanéen, le poulpe moldave et autres finasseries sexuelles aux confins de l’exotisme érotique. Il y a un memento pour ça. Le seigneur moniteur de ski occupe même une position bien supérieure au médecin du centre médical baptisé « le plâtrier » au vu des jambes cassées rafistolées en Vicat (Lafarge, ça marche aussi). Le moniteur avec son ego gonflé perd une fois l’an tout principe de réalité : à l’occasion du challenge des moniteurs. Une belle déconnade syndicale où le rouge n’est pas que sur les tenues ; un raout dont le but nous échappe toujours. On se souvient de l’édition dans les Pyrénées où un moniteur ayant dérobé un parasol sur une terrasse, a sauté d’un télésiège en se prenant pour Mary Poppins : Lafarge ou Vicat ? 

Borne, les a dépassées

Les stations sont un barnum. De loin, elles ressemblent à des entreprises. De près, ce sont des cocktails de filles et de mecs qui mettent les doigts dans la prise et filent de l’énergie au système. L’ensemble marche sur trois pattes mais le truc avance, l’inverse d’une IA en somme. Certains en fin de saison, changent le Cayenne pour une version avec quatre pots d’échappements… alors que le but du saisonnier est simplement de repartir avec plus de flesh qu’en novembre… Un équilibre improbable qui fait passer le bilboquet-les-yeux-bandés pour un jeu de réussite. Mais globalement, employeurs et travailleurs saisonniers avaient trouvé, au fil des années, un gentleman agreement : du job contre des compétences, pas de coucheries avec la femme du patron et un salaire dopé en récompense des efforts, même si les conditions de logement n’étaient pas toujours florissantes. Mais, notre Angela française, Elisabeth Borne, est venue réformer tout ça à grand coup de tatanes dans le cul. Désormais tout saisonnier, afin qu’il puisse ouvrir des droits (ARE), doit travailler à temps complet six mois, au lieu de quatre précédemment. Quel a été le résultat immédiat de cette réforme brillante ? Le niveau en surf et en kite a nettement baissé chez les saisonniers. Beaucoup moins de monde en Indonésie, à Dakhla ou Jericoacoara Brazil… Fin des caïpirinha et du thé à la menthe à gogo. Ausweiss ! Il faut désormais travailler plus, cumuler plusieurs contrats pour conserver ses droits et les mêmes revenus. Certains sont donc allés voir ailleurs, sont devenus honteusement des travailleurs annuels ou sont purement et simplement sortis du système, pour faire quoi ? Mystère complet, psssit, évanescence. Le quota d’altermondialistes est déjà bien full dans certaines régions de France, à l’exemple du Pays de la Clairette. On pourrait penser que la fête est finie. « Großer Fehler »(1) comme disent les potes du chancelier. S’il y a des trous dans la raquette (scheiss, on se met à parler comme Lemaire), la plupart des postes ont été pourvus, parfois en last minute, mais la saison a pu se dérouler (avec un peu de câble parfois). Sans doute parce que les stations sont des lieux spéciaux dotés d’un supplément d’âme, le pouvoir d’attraction joue toujours. On y vient pour trimer ou faire simplement son job, s’amuser, rencontrer, glisser, participer d’une histoire commune. On le doit à vous saisonniers. On vous aime. Voilà, c’est dit.

Par Franck Oddoux 

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« Il va gagner, il le mérite ! »

« Il va gagner, il le mérite ! » Si vous avez suivi l’UTMB 2022 sur les différents flux d’information en direct, vous avez forcément entendu cette phrase prononcée par Alix Noblat, la compagne de Mathieu Blanchard et son assistante sur l’épreuve. C’était au ravitaillement de Champeix, à 45 km de l’arrivée (sur 171 km), alors que Mathieu courait au coude à coude avec Kilian Jornet, déjà trois fois vainqueur ici même, et quasi imbattable sur la planète ultra-trail depuis plus de douze ans. Mathieu, de son côté, a réellement émergé dans le haut niveau du trail au sortir de l’épidémie de Covid-19, et n’a à son crédit sur l’UTMB « que » une troisième place l’année dernière. « Il a travaillé tellement dur » ajoute Alix, que forcément, cette course, il doit la gagner. Mais l’histoire retiendra que le vainqueur, c’est Jornet, pour la quatrième fois, et que Blanchard ne terminera « que » deuxième, avec un chrono canon.

Discours à la gloire du mérite…

Ce type de phrases – « on a travaillé dur », « on s’est sacrifié », « on y pense nuit et jour » – et sa conséquence « on mérite de gagner » m’a toujours fait sourire quand je l’entends dans les interviews de sportifs. Sports individuels, sports collectifs – et on pourrait même étendre cette observation en dehors du sport (concours de chant, record du kouign-aman le plus calorique au kilogramme, écriture d’un livre, examens, niaiseries télévisuelles du genre la meilleure boulangerie de France, le meilleur agent immobilier, le tueur en série le plus stylé, etc.) – procurent moults exemples de discours de ce genre. Des discours qui sous-entendent que le fait d’avoir travaillé dur entraîne selon toute logique la victoire. Des discours à la gloire du mérite : si tu as travaillé dur, tu vas l’emporter.

Oui mais.

Oui mais Alix, crois-tu que Kilian, lui, ces dernières années, pendant que Mathieu avalait du dénivelé jusqu’à l’asphyxie, s’empiffrait de sentiers techniques jusqu’à la décalcification, se comportait à table comme un vegan anorexique, crois-tu que Kilian vivait la dolce vita auprès d’Émilie, une marguerite entre les lèvres, cheveux au vent, allongés au bord d’un superbe fjord norvégien avec leurs enfants, respirant l’air pur et se contant fleurette ? Moi, je ne crois pas. Pas plus que je ne crois que les adversaires de tous ces gens qui assènent de tranchants « il s’est tellement entraîné, il va gagner » ont de leur côté séché l’entraînement.

Un mantra, une ritournelle…

Oui, bien sûr, ce discours auto-persuasif n’est rien d’autre qu’un mantra, une ritournelle qui répétée avec suffisamment de conviction ancre au plus profond de soi et de l’être coaché la certitude que oui, ça va le faire. De la préparation mentale en somme. Et la prépa mentale, ça marche, c’est prouvé, mais le truc, c’est que désormais tous les champions en font. Et pas que les champions, les livres pour booster son mental dans tous les domaines (sport, entreprise, études, vie sexuelle…) ont fleuri cette dernière décennie, et à peu près tout individu recherchant la performance est affranchi dans ce domaine. Y compris (surtout ?) dans le domaine de l’ultra-trail. D’où une ultra-concurrence.

Travail et mérite ? Opportunisme et chance ?

« Dans un secteur concurrentiel, beaucoup ont du mérite, mais peu réussissent. Ce qui sépare les deux, c’est la chance. » Cette phrase due à l’économiste américain Robert Franck dans son livre Success and Luck (2016) casse un peu le mythe de la réussite, des self-made men, des entrepreneurs aux dents blanches et à l’auréole au-dessus de la tête. Si l’on retourne sur le terrain de l’UTMB 2022, on prendra soin de ne pas oublier que quelques heures avant de prendre le départ de la course, Kilian Jornet n’était même pas sûr de participer : « Avant le départ, je n’étais même pas certain de pouvoir en être vu un récent test positif au Covid. » Et puis à une quarantaine de bornes de l’arrivée, le Catalan hésitait à abandonner… Qu’est-ce qui l’a fait basculer du « bon » côté ? Peut-être bien justement son rival du moment, Mathieu Blanchard. Jornet revenait sur ce passage difficile après sa victoire : « Il [Mathieu Blanchard] m’a beaucoup aidé. Quand il m’a doublé, j’étais dans un trou avec tout mon corps qui n’était pas bien. J’ai pensé même abandonner. J’ai dit à mon staff que tout mon corps me faisait mal. J’ai essayé de suivre Mathieu et il m’a remotivé après Champex. Ensuite, je me suis dit il faut aller jusqu’à Chamonix. À Champex, j’ai bien mangé, j’ai récupéré un peu et puis je suis reparti. » Et l’on connait l’issue de ce nouveau départ. Alors, travail et mérite ? Opportunisme et chance ?

Le sport vitrine d’une méritocratie

Aborder l’idée de victoire par le prisme de la chance est une hérésie ; au contraire, lorsque la réussite est déterminée par le mérite, chaque victoire peut être considérée comme le reflet de sa propre vertu et de sa valeur. C’est extrêmement valorisant. Et pour le public, pour les spectateurs, c’est rassurant : la part de travail en amont précède le résultat, et ceci explique pourquoi les individus sont à cette place et pas à une autre dans l’ordre social. Cette idée laisse croire en un monde juste, et bien évidemment, nous tous souhaitons que le monde soit juste. Ce n’est pas l’Ordre National du Mérite, le « Travailler plus pour gagner plus » ou la méritocratie d’Elisabeth Borne qui diront le contraire. Le sport est un peu une vitrine de cette méritocratie : « Le sport incarne une contre-société idéale, en prétendant récompenser l’effort de manière juste. Le sport est un support tout trouvé pour vanter les mérites du travail » – Raphaël Verchère (Docteur et agrégé de philosophie, ancien coureur cycliste).

Démocratie de principe et aristocratie du résultat

Tous égaux derrière la ligne de départ, mais un seul vainqueur, celui qui le mérite le plus, c’est l’idée qu’a creusée Isabelle Queval (philosophe et enseignante-chercheuse, ancienne sportive de haut niveau) : « Toute compétition sportive met en scène la tension entre une démocratie de principe, celle de la ligne de départ, et une aristocratie du résultat, soit la victoire du champion. » Et cette tension était évidemment présente sur cet UTMB 2022, fou comme toutes les dernières éditions, avec au départ une demi-douzaine d’hommes susceptibles de gagner. La course féminine était elle aussi particulièrement compétitive, avec une demi-douzaine de prétendantes à la victoire, et un scénario lui aussi à rebondissements, couronnant finalement l’Américaine Katie Schide.

Mais le rêve, ce n’est pas la réalité…

Pour en revenir à Mathieu Blanchard et à sa coach du moment Alix Noblat, l’idée de victoire s’est effectivement fortement ancrée en lui en Suisse, comme il le racontait en interview d’après course : « Entre La Fouly et Champex, il y a une longue ligne droite. Je voyais Kilian au fond de ce long couloir et je l’ai rattrapé en trois minutes. Il allait vraiment très doucement et quand je suis arrivé à côté de lui je me suis dit : ‘il est mort’. Je me suis même excusé et je lui ai dit ‘bon courage’. Je pensais qu’il allait arrêter quelques mètres plus loin. » Mais l’histoire est toute autre, les deux gars se motivent l’un l’autre et en poussant leurs corps dans leurs retranchements, ils arrivent à dégommer le record de l’épreuve. « Nous avons l’exemple d’une méritocratie qui peut faire rêver » conclut Isabelle Queval.

Oui, l’UTMB 2022 comme toutes ces épreuves démentes nous font rêver. Mais le rêve, ce n’est pas la réalité. Et il ne suffit pas toujours d’y croire et de penser que c’est juste, mérité, pour que ça arrive. Dommage Alix et Mathieu, à l’année prochaine ?

Par Emmanuel Lamarle.

Photo : Franck Oddoux. Mathieu Blanchard, Grand Col Ferret.

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LE TRIATHLON AU RÉGIME SEC !

Basiques nous sommes. On fait du triathlon car on sait compter jusqu’à trois. Ce sport exceptionnel consiste effectivement à s’épuiser au cours de trois épreuves. Avec les confinements successifs et les fermetures manu militari des piscines, le bout de saison annoncé verra la plupart des triathlètes prendre le départ de courses sans avoir mis un seul orteil dans un bassin chloré.  Bon, et alors, un triathlon sans s’être entrainé en natation, ça peut ressembler à quoi ? Un duathlon : vélo et course à pied ? Même pas, le duathlon c’est : de la course à pied, du vélo, et de nouveau du running pour achever les chevaux. Du biathlon ? Non plus. Pour revendiquer cette appellation, il faut s’appeler Martin, glisser dans de grandes forêts avec de la neige, des skis de fond et un fusil de chasse dans le dos qui fait mal à l’ensemble des 12 vertèbres thoraciques. 

NATATION-VÉLO-COURSE À PIED. MÊME PAS PEUR.

La saison triathlon va donc se jouer avec toutes les cartes mais… redistribuées ? C’est-à-dire ? Comme nous sommes joueurs, on ne va rien changer et l’on va faire comme d’habitude, comme si de rien n’était : natation-vélo-course à pied. Même pas peur. Quelques esprits alertes (ceux qui suivent au premier rang) peuvent rétorquer que les triathlètes peuvent très bien s’entrainer en eau libre. Certes, mais en hiver, il faut avoir du sang de phoque ou une intraveineuse de gnole (les deux n’étant pas incompatibles) pour faire trempette. Certains français n’ayant pas de pétrole mais beaucoup d’idées (à la con), ont bien amusé la galerie digitale en publiant des vidéos qui auraient largement leur place dans Vidéo Gags : des types en combinaison/bonnet de bain, allongés sur un tabouret mimant un entrainement natation, élastiques aux bras pour simuler la résistance à l’eau. Connerie virtuelle ou simplement envie de bien faire, en tout cas, quand les entraineurs ont visionné ces images insoutenables, ils se sont glissé des suppositoires piégés. Pour que le scénario soit plus crédible, certains demandaient à leur compagne de jeter des cuvettes d’eau. On croira à l’efficacité de cette préparation quand l’übermensch en mousse de pullbuoy aura aussi des verrues plantaires (un bonus généralement livré avec le ticket d’entrée du bassin municipal). 

UNE HISTOIRE PAS TRÈS CLEAN EN UN MOT : NOYADE

Bref, se lancer dans un Ironman sans avoir nagé, c’est, comme disait mon ami Alain B dans « Vertige de l’amour », : le cochonnet sans les boules, ou le cochonnet qui a les boules, bref, on ne sait plus trop dans quel sens prendre cette histoire pas très clean. Les conséquences de ne pas avoir pratiqué assidument du rattrapé, de l’hypoxie 3/6/9, du gainage avec le retour aérien du coude relâché ? Ça tient en un mot : la noyade. Couler sa bielle en vélo ou en course à pied, soit ; on se couche dans le talus et on attend Raymond le secouriste (Adriana est en congés ce week-end). Mais au milieu du plan d’eau, si on coule sa bielle ? On coule… tout court. Les poissons sont contents, ils vont voir du monde. Donc en attendant les noyades annoncées, les organisateurs de triathlons ont déjà commandé des conteneurs de bouées de sauvetage à la SNSM qui, heureusement, avait un surplus qui trainait. Ils ont fait aussi un large recrutement de Pamelas Anderson (Bay Watch) en prévision des nombreux bouche-à-bouche intensifs de cet été. 

CHAQUE ANNÉE, 1000 PERSONNES SE NOIENT EN FRANCE

On croise bien entendu les doigts pour que ce scénario foireux ne se déroule pas comme annoncé dans ce foutu papier. Mais la responsabilité d’éventuels futurs accidents appartiendra aux décideurs, ceux de Paris, les gros cerveaux en blouses blanches ou sortis de l’ENA qui ont confiné, interdit, claquemuré, vidé les piscines sans discernement : la grande vidange. Le cas des triathlètes pris comme des lapins dans des phares de bagnole n’est peut-être pas si grave que cela (ce n’est que du sport). Mais quid des 800 000 jeunes qui n’ont pas eu accès à des cours de natation (1). Chaque année, 1000 personnes se noient en France. Une certaine Roxanna Maracineanu, s’en est même émue dans la presse. Lâcher une larmichette ou retrousser ses manches pour faire changer les choses, la ministre déléguée chargée des sports ne semble pas faire la différence, c’est conforme au nouvel art de faire de la politique : multipliez les effets d’annonce, on verra bien s’il en reste quelque chose. Nous, on appelle ça, noyer le poisson. Pourtant, Roxa devrait être sensible aux pataugeoires, elle qui a ramené une médaille des JO… en natation. Si elle avait été championne du monde Fortnite, on l’aurait presque excusée, mais là… 

ON VA FLOTTER COMME DES CAISSES À OUTILS

« Quand un gouvernement raisonnablement coupable s’en prend à un peuple innocent », la phrase est de François Sureau de l’Académie Française, on doit malheureusement faire avec et s’adapter. Car « on ne peut pas remettre le dentifrice dans le tube », la phrase est de mon pote Kévin, de l’académie de triathlon, un cerveau. Ne pouvant donc pas rejouer la partie, remplir nos piscines à ras bord comme les américains avec les verres de pinard, faire des moulinets de bras sur la berge des bassins, ajuster nos lunettes qui gobent nos yeux… on va essayer de survivre à cette saison de triathlon très particulière où l’on va flotter comme des caisses à outils. Nous sommes habitués à l’abnégation, n’avons-nous pas rendu très « classe » un sport où l’on pédale et court en slip de bain ? 

Par Franck Oddoux

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Respect, mec !

En 2006, j’ai passé près de trois mois avec un morceau de verre enfoncé dans le pied. Ce n’était ni un pari stupide, ni une dérive de la piercingmania, ni une tentative foirée de devenir fakir, mais juste une maladresse d’un soir de même pas ébriété. Un récipient en verre qui tombe dans la cuisine et éclate en mille morceaux que je ramasse, mais bien sûr il en reste un perfide planqué dans un coin, et le lendemain matin je me le plante dans le pied avant même d’avaler mon thé. 

VIVRE AVEC UN MORCEAU DE VERRE DANS LE PIED

Bien entendu, je ne sais pas à ce moment que cet auto-stoppeur clandestin a décidé de m’accompagner plus de 80 jours – je me dis juste que c’est une belle entaille, et basta. Les jours passant et les douleurs et saignements aidant, je consulte un toubib qui ne m’est guère utile, même après une radio : « ptêt ben qu’oui, ptêt ben qu’non, s’il ne contient pas de plomb on ne verra rien à la radio et on ne peut pas savoir si vous avez un bout de verre dans le pied », me fait ce médecin pas Normand pour un sou mais pas bien constructif non plus. Et voilà comment je me suis retrouvé à vivre ma vie normale, c’est-à-dire marcher et courir à l’époque une centaine de kilomètres par semaine, avec un morceau de verre dans le pied. Ce n’est qu’à l’issue de ma deuxième course qu’il est ressorti, instant gore qui ferait passer la série Saw pour un remake de L’île aux enfants.

« OUAH, BRAVO ! RESPECT ! »

Bref, à l’issue de cette période douloureuse que j’exposai à l’époque à mes potes coureurs, je reçus de nombreuses marques de considération : « Respect mec, t’as couru les 12 heures de Bures-sur-Yvette avec un morceau de verre dans le pied, chapeau ! » Et cette vague d’enthousiasme n’a depuis cessé de m’interpeler. Moi, je trouvais que j’avais juste fait un truc complètement débile, avec potentiellement des conséquences désastreuses : le sectionnement d’un nerf aurait pu me poser des problèmes considérables et même pourquoi pas une invalidité. Mais non, la sentence des copains, c’était « ouah, bravo ! Respect ! » Quel décalage !

LA PERFORMANCE DANS LE MILIEU SPORTIF EST RELATIVE

C’est donc à cette époque que j’ai pris du recul sur la notion de respect, un mot qui a bien évolué au fil du temps, depuis l’application sans question du dogme au Moyen-Âge, « l’aveu de la supériorité de quelqu’un » de Diderot et D’Alembert au XVIIIe, à ce « sentiment qui incite à traiter quelqu’un avec égards, considération, en raison de son âge, de sa position sociale, de sa valeur ou de son mérite » de nos jours. Et donc par application au milieu sportif, traiter quelqu’un avec égards en raison de ses performances sportives.

Et c’est là que la situation se corse, car la performance dans le milieu sportif est éminemment relative. En effet, si l’on pourrait de prime abord croire qu’une performance, c’est une performance, et basta, en réalité non, ce serait se fourrer le doigt dans l’œil. Certes, courir le 10 km en 32 minutes, le marathon en 2h35, gagner l’Ultra-Trail du Mont-Blanc ou terminer l’Ironman de Nice en 9 heures, ce sont des performances dans l’absolu. Mais tout le monde n’a pas cette notion d’absolu, et quand bien même, parfois le relatif prend le dessus sur l’absolu.

QUI A OBTENU LE PLUS GROS SUCCÉS À L’APPLAUDIMÈTRE ?

Exemple : qui de Kilian Jornet, vainqueur de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc en 2011, ou du 1133ème et dernier Finisher, arrivé 22 heures et 11 minutes plus tard, et qui a donc mis plus de deux fois plus de temps que le Catalan pour boucler la course, a obtenu le plus gros succès à l’applaudimètre ? La relativité, c’est que Kilian est un athlète, il vit par et pour son sport, et son succès est normal. Alors que le dernier, le gars qui se fait dépasser par les papillons dans les derniers hectomètres, qui accuse deux tendinites, une entorse, quinze heures de vomissements et une nuit complète d’hallucinations, ce gars-là est juste un gars normal, avec un boulot, une femme et deux gosses, un peu d’embonpoint, une tendance à siroter trop de binouzes en regardant éventuellement des matches de foot. Et ça, terminer une telle épreuve alors qu’on n’est pas intrinsèquement fait pour, ça mérite le respect. Non ?

SE VIDER DE SON SANG PAR LA VOUTE PLANTAIRE : RESPECT ! 

Et me revoilà avec mon bout de verre dans le pied : bah oui, courir quelques dizaines de bornes en douze heures en se vidant de son sang par la voûte plantaire, ça mérite aussi le respect ! Non ? Alors si dans certains cas je suis bien d’accord avec la considération populaire – je n’ai moi-même pas été toujours très svelte, et je considère certaines de mes performances de seconde zone comme plus valorisantes que des performances pourtant meilleures mathématiquement parlant –, parfois, je trouve que tout ceci frise le ridicule et que l’on perd un peu le sens des réalités.

Certes, traverser la Manche (pas en TGV hein, en nageant !), finir un Ironman (3,8 km de natation, 180 km de biclou, 42,195 km à pied), réaliser l’ascension du Mont-Blanc, finir la Diagonale des Fous (la traversée de l’île de La Réunion via 170 km et 10 000 mètres de dénivelé positif sur des sentiers qui n’ont de sentiers que le nom) sont des performances en soi, et bien entendu les réaliser dans des conditions dégradées – blessure, handicap, mauvaise préparation, etc. – ajoute encore au challenge. Mais.

COMMENT MARQUER DES POINTS DANS L’ÉCHELLE DU RESPECT ?

Mais on a parfois tendance à s’extasier devant de « fausses » performances, ou tout du moins à les sacraliser, et à ignorer les « vraies », ou tout du moins à les banaliser. Bien sûr les sports outdoor représentent un terreau fertile pour les exploits personnels, mais parfois l’exploit ne mérite pas vraiment l’attention – et le respect – qu’on lui accorde, fut-il mis en avant par un influenceur à la mode ou un site d’information en manque de papiers vendeurs.

Alors comment marquer des points dans l’échelle du respect ? Un conseil évident et simple à mettre en œuvre pour débuter : bouffez et picolez comme un Gérard Depardieu en grande forme. En moins de six mois vous aurez chopé une bedaine « Père Noël Style », et vos performances, même amoindries, en deviendront bien plus respectables. Un autre conseil super simple à suivre : arrêtez de vous entraîner comme une brute. Mieux vaut arriver frais, voire plus que frais, pour pouvoir endurer les souffrances sur le parcours de votre choix – course à pied, trail, vélo, escalade, natation – et paraître à l’arrivée davantage soulagé d’en terminer qu’heureux. Plus grandes seront les louanges. 

GRIMPER LE MONT-BLANC EN TONGS

Bien évidemment, quelques choix douteux en matière d’équipement devraient également vous faire gagner de précieux points : un bermuda ample et un t-shirt en coton sur marathon devraient vous apporter de jolies trainées sanglantes à l’entrejambe et aux tétons, de quoi avoir l’air d’un supplicié et vous faire progresser de deux niveaux d’un coup. Même chose pour le vélo : un BMX des années 80 en Downhill, ou mieux encore un Velib, Velo’v ou autre Velobleu à l’Embrunman vous consacreront comme chouchou des foules. Et si vous voulez crever les plafonds, il va falloir vous retrousser les manches et en plus des tips précédents, créer votre propre challenge, à l’apparence complètement barré et totalement hallucinant : grimper le Mont-Blanc en tongs, descendre l’Amazone à la nage sans combi (en brasse bien sûr, on reparlera d’ailleurs un jour du candiru), terminer la Pierra Menta en ski de fond (à votre avis qu’est-ce qui rapporte le plus de points : classique ou skating ?), ou faire une apnée au milieu de requins bouledogues en s’étant au préalable tranché un doigt de pied. N’oubliez évidemment pas de stotyteller votre beau défi en incluant moults citations dans la lignée de « no pain no gain », en dégottant une accroche bien sentie dans le genre « Personne ne voulait le faire mais moi je relève le défi », et en postant des tas de photos de vous en contre-plongée – peu importe ce que vous y faites, il faut bien que l’on voie votre triple menton et votre air badass. 

« CHATTES PERDUES DU 9-3 »

Enfin, pour atteindre les cimes, sortez le joker association : non seulement vous êtes un dingue qui mérite le respect, mais en plus tout ça vous le faites pour une noble cause genre « une lance pour des pompiers » ou « chattes perdues du 9-3 ». Vous n’avez ni petit cousin cancéreux, ni une âme de Brigitte Bardot, ni une maladie qu’on ne voit que dans la série Docteur House ? Pas grave, une recherche Google vous permettra de taper dans le mille, en moins de trois minutes vous aurez dégotté votre cause désespérée et vous pourrez vous aussi arborer votre drapeau « Free Vosges » à l’arrivée de votre défi, succès assuré. Et enfin essayez de vous adjoindre les services d’un bon chargé de com’ (je vous file mon numéro par message privé, n’hésitez pas), c’est carrément rentable – une image vaut mille mots, etc.

BÊTES SYSTÈMES DE CLASSIFICATION

Toutes ces histoires de respect, c’est bien rigolo, un peu flippant aussi parfois, mais finalement, qu’en retirer ? Que nos activités sportives en plein air, bien qu’elles prônent la liberté, l’émancipation des règles, la mise à nu de l’humain, ne sont pas exemptes des bêtes systèmes de classification ni des étiquetages et encore moins des batailles d’égo, mais qu’en parallèle nous arrivons à nous enthousiasmer aussi bien pour les performances chronométriques ou qualitatives des leaders de nos disciplines, que pour les performances individuelles des moins bons qui cherchent à s’élever au-dessus de leur condition. Et ça, finalement, c’est déjà pas si mal…

Par Emmanuel Lamarle. Illustration : Redge35

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ZOBI LA BOX !

Oui, je sais. Je suis un vieux réac, un vieux con, un vieux chaispasquoi qui n’aime pas grand-chose à part moi-même et le Glenfiddich 18 ans d’âge. Et de fait, la liste de ce que je n’aime pas est plus longue que la liste des boites que l’année 2020 a laissées sur le carreau – avec l’aide, il faut le dire, de nos chers gouvernants. Mais dans cette liste, s’il y a bien une chose que je n’aime pas, une chose qui trône vers le haut du panthéon de l’aberration abhorrable, ce sont les « box », et bien entendu leurs déclinaisons sportives – running, trail, cyclisme, musculation, fitness, crossfit, sports d’équipe…

LA PUBLICITÉ FAÇON RAMONAGE À SEC AVEC POIGNÉE DE GRAVIER

Pour les déconnectés de la « real life » qui ont passé la dernière décennie peinards dans un chalet hors réseau au cœur du Vercors, les box, c’est un peu le summum de la publicité façon ramonage à sec avec une poignée de gravier – oui merci je reprendrais bien un peu de papier de verre.

Reprenons les bases de la publicité : en premier lieu, des entreprises dont tu n’as que faire poussent vers toi des incitations plus ou moins subtiles à acheter leurs produits – spots TV, encarts publicitaires dans ton magazine préféré, annonces sponsorisées sur Facebook, publi-reportage sur France Inter. Bon, c’est chiant, mais normalement chacun de nous a la capacité de détecter ces chevaux de Troie et de les ignorer.

LE BON SENS, VOUS SAVEZ CE TRUC RINGARD… 

La deuxième étape, c’est de te faire croire que c’est vachement bien de faire toi-même la promotion de la marque – le meilleur exemple étant les cyclistes portant fiers comme Artaban les maillots de leur équipe préférée, véritables panneaux publicitaires en faveur de mutuelles, groupes de téléphonie mobile, ou états achetant leur respectabilité à coup de pétrodollars. Il va sans dire que ces maillots sont des atteintes au bon goût et sont la cause de nombre de cécités chez les personnes âgées vivant sur le bord des routes départementales. Cette fois, pour éviter d’endosser le costume de VRP ambulant pour pas un rond, il faut faire preuve de bon sens, vous savez ce truc qui a tendance à se ringardiser ?

LA BITCHBOX ÉVOLUE SUR UN TERRAIN MOINS ORTHODOXE…

Mais passons à la troisième étape de l’échelle publicitaire : la box. Ce fléau est apparu en 2010 aux States (bien évidemment ?), sous la géniale impulsion de deux étudiantes diplômées de la Harvard Business School (bien évidemment bis ?). Birchbox, c’est le nom de leur société (à ne pas confondre avec BitchBox, qui évolue sur un terrain moins orthodoxe mais plus honorable), propose de faire découvrir à ses abonnées (notez le féminin non inclusif) des échantillons de produits de beauté (la beauté qui s’achète en dollars ou euros, celle des stars, des magazines de mode, des réseaux sociaux, celle qu’il vous faut Mesdames, et n’allez pas imaginer que vous pouvez être belle au naturel hein). Le truc génial, c’est que vous ne vous abonnez pas pour recevoir des produits dont vous avez envie ou même besoin, mais pour recevoir des produits surprises que vous n’auriez probablement jamais achetés par ailleurs. En échange de votre argent, vous recevez chaque mois un paquet surprise renfermant quelques pots, tubes et flacons assortis d’un joli packaging et d’un storytelling excitant vos circuits de la récompense.

LA BOX EST PARTOUT

Mode et beauté d’abord, puis, alimentation – à la sauce bio, végétarien, vegan et sans gluten bien évidemment –, bières et vins (avec modération), livres, cinéma (non essentiel), jeux de société, pop culture, coffrets ludiques ou éducatifs pour les enfants, et bien sûr sport, tout y passe : « Impossible de ne pas trouver son bonheur » nous vante un site dédié aux box. Bizarre, moi, mon bonheur je le trouve en compagnie de ceux que j’aime, du Glenfiddich, ou au cœur des montagnes, en face de chez moi. Voire les trois à la fois. Bref.

ET PAF, VOUS COMMANDEZ CE TRUC ABSOLUMENT INUTILE

D’un côté, vous avez donc des marques qui refourguent leurs invendus et leurs échantillons, au milieu une société qui joue les intermédiaires pour trois francs six sous, et de l’autre vous qui achetez au prix fort des produits dont tout le monde se contrefout. Juste génial : c’est vous qui demandez à être abreuvé de publicité, l’objectif étant bien entendu que vous trouviez un quelconque intérêt à l’un des produits reçus, ou mieux que votre culpabilité vous pousse à vous dire que vous n’avez pas payé pour en rester là, et paf, vous passez à l’acte, vous commandez ce truc absolument inutile après avoir payé pour être informé de son existence. Génial on vous dit (tant qu’on n’est pas doté du moindre sens moral, et qu’on se fiche de l’écologie comme de l’an 40 – ou était-ce l’an 14 ? 1515 ? – vu que toutes ces merdes, il faut bien les fabriquer, les packager, les expédier).

DÉSOLÉ MAIS JE CROIS QUE JE VAIS DEVENIR VULGAIRE

Mais poursuivons sur les sites vous permettant de choisir la box qui correspond le mieux à votre mode de vie, qu’écris-je, votre lifestyle : « Le concept a de quoi séduire : proposer de tester des produits que nous n’aurions peut-être même pas pensé acheter, sans prendre de risque financièrement parlant. » Désolé mais je crois que je vais devenir vulgaire. C’est sûr que 49,90 € tous les deux mois pendant six mois pour recevoir « une sélection de 5 à 7 produits de marque testés et sélectionnés pour vous par des experts », c’est juste 149,70 € jetés par la fenêtre. Effectivement il n’y a aucun risque, c’est juste une perte sèche.

LE RÈGNE DE L’INSTAGRAMEUSE ET DU YOUTUBEUR FITNESS

Allez encore un petit argument marketing qui vaut son pesant d’or : « Point fort des box : l’aspect communautaire. Nombre de Youtubeuses se filment en train de découvrir le contenu de leur colis, ce qui pousse les spectateurs et spectatrices à se laisser tenter. » C’est le règne de l’Instagrameuse et du Youtubeur fitness, vive le « unboxing » ! Encore une fois c’est le client lui-même qui fait la pub de l’entreprise. Cash machine ! On passera sur les « faire de la réception du colis un mini-événement, où la personne a hâte de recevoir son ‘cadeau’ et de découvrir ce que la marque lui a réservé », ou encore « Il s’agit aussi d’un gain de temps : recevoir des produits directement chez soi plutôt que d’aller les acheter en magasin permet de consacrer son temps et son énergie à des activités plus importantes », ou ce génial « Bien souvent, la valeur des produits contenus dans la box dépasse largement celui de l’abonnement. Le consommateur en a donc pour son argent. »

POUR FINIR SUR UNE ÉTAGÈRE AU DESSUS DES CHIOTTES

En avoir pour son argent ! Je rappelle qu’il s’agit de recevoir des produits dont on n’a pas besoin, et qui vont probablement finir périmés sur une étagère sombre et pleine de toiles d’araignée au-dessus de vos chiottes. Et les blogueurs, les sites de sport outdoor, les magazines, de faire la promotion de ces boites à vide, comme si cette manière de consommer était la panacée. C’est ça le monde d’après ? C’est ça être « consom’acteur » ? C’est ça la responsabilité ?

Bon, faut vraiment que je me tire. Personne n’a un chalet à vendre au fin fond du Vercors ?

Par Emmanuel Lamarle.

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EMPREINTE CARBONE

Les chaussures de course à pied contenant une plaque en fibres de carbone : dopage technologique ou pas ? Faut-il les interdire ? En réalité on s’en contrefiche de l’aspect dopage : bien sûr qu’il faut les interdire. Commercialiser ce type de chaussures est juste une aberration dans le monde actuel.

PISSER SOUS LA DOUCHE, ALLER CHERCHER LE PAIN À PIED

Rappel : le climat part en sucette, notre planète se réchauffe façon cocote minute, les espaces naturels se réduisent comme nos libertés individuelles, les espèces disparaissent (pas les moustiques, c’est con), la pollution augmente presque aussi vite que le chiffre d’affaires d’Amazon. Je vais bien tout va bien. Il est nécessaire, nous nous en rendons tous compte (sauf un ou deux hurluberlus qui ont des intérêts à regarder ailleurs), de limiter les activités polluantes et de retrouver une certaine sobriété énergétique. D’où les Think tanks, rassemblements des grands de ce monde, recommandations de pisser sous la douche et d’aller chercher le pain à pied, et… les investigations mi-motivées mi-greenwashing des grandes marques de chaussures de course à pied.

ET SI VOTRE POMPE TOMBE DANS UN BOURBIER ? 

Ben oui, il se vend tout de même chaque année, en France, près de 9 millions de paires de chaussures de course à pied. Et elles finissent (à quelques exceptions près grâce à des circuits de seconde vie comme Runcollect) à la poubelle. Et une chaussure de running, ce n’est pas vraiment neutre en termes de matériaux : polyester, EVA (éthylène-acétate de vinyle), polyuréthane thermoplastique, polyuréthane à cellules ouvertes, colles… Disons que si vous perdez votre pompe dans un bourbier, ce n’est pas en trois semaines qu’elle va se décomposer… mais plutôt en 450 à 1000 ans. Et ce n’est pas parce qu’elle aura disparu à votre vue qu’elle aura réellement disparu : elle se sera juste décomposée en microscopiques morceaux qui seront libérés dans la nature. Cool.

LA SOLUTION ? SNIFFER LA COLLE ? 

Les marques se sont donc emparées du sujet histoire de ne pas se faire prendre de cours par la concurrence. Au milieu de pas mal de greenwashing, On Running, Nike, Salomon et Adidas ont proposé des concepts qui semblent intéressants, mais qui ne sont encore que partiellement déployés et dont on n’a pas mesuré l’impact par rapport aux chaussures traditionnelles. Les On Cyclon sont vendues sur abonnement (29,95 € par mois) et sont échangées par la marque lorsqu’elles sont usées (deux fois par an maximum). La chaussure serait entièrement recyclable d’après la marque, mais on en doute un peu (ne serait-ce que pour les colles utilisées). Le programme reuse-a-shoe de Nike propose de déposer ses chaussures de sport usagées chez un revendeur Nike, qui les collectera et les transformera en matériau sur les terrains de basketball, les courts de tennis, les pistes d’athlétisme, les terrains de sport et les aires de jeux. Du recyclage ok, mais sur un seul cycle. Il se passe quoi une fois le terrain de sport défoncé ? Chez Salomon, la Index.01 utilise un minimum de matériaux différents, et est recyclée en grande partie lors de sa mise au rebut (chaussures de ski, textiles). Là aussi, un seul cycle semble envisagé. Enfin la Futurecraft.Loop d’Adidas est annoncée comme 100% recyclable : seulement deux matériaux, pas de colle, et une partie des matériaux produits à partir de déchets plastiques récupérés en mer. Ça semble pas mal. 

LE VAGUE À LAME

Reste un détail qui est toujours oublié dans les communications des marques : l’usure des semelles sur les routes et chemins, qui produit les pires particules (comme l’usure des pneumatiques sur les routes, principale source de déchets plastiques en Suisse – 8100 tonnes par an). Allez, un deuxième : ces chaussures semblent certes sur la bonne voie, mais quelle part du marché représentent-elles ?

Parce que pour une chaussure plus ou moins recyclable (ce qui ne veut pas dire neutre pour l’environnement : il faut la produire, la transporter, la stocker, la vendre, et ensuite la collecter, la retransporter, la transformer…), combien de chaussures de pointe, intégrant des dizaines de matériaux différents, et notamment des lames en fibres de carbone, sont vendues ? Pour le carbone aussi, le recyclage est possible dans certains cas (par exemple Specialized a récemment démarré un programme de récupération des cadres de vélo pour tenter de les recycler), mais quels seront les volontés et les coûts, y compris environnementaux (transport, traitement) ? Est-ce que ça en vaut la peine ? Ces chaussures sont déjà commercialisées entre 180 (Hoka One One Carbon X) et 300 € (Nike Air Zoom Alphafly NEXT%, oui plus le nom est long et compliqué, plus la chaussure est chère), alors s’il faut y intégrer un coût de recyclage, à combien la facture va-t-elle monter ? Faudra-t-il hypothéquer sa maison pour s’aligner sur une saison de course à pied ?

TOUT ÇA POUR GAGNER JUSQU’À 4% DE PERFORMANCE…

Et tout ça pour gagner jusqu’à 4% de performance, selon diverses études pas toujours d’accord entre elles, pour des coureurs très bien entraînés. Le coureur lambda, lui, y gagnera surtout de l’inconfort et un découvert sur son compte en banque. Si la chaussure de running à lame de carbone a le vent en poupe, la course à pied, sport du pauvre par excellence, risque de recevoir une volée de plomb dans l’aile…

Par Emmanuel Lamarle. Photo Franck Oddoux.

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Les phoques raquettent les stations !

Les phoques raquettent les stations ! Même à Libé, ils n’ont pas voulu de ce titre désarçonnant mais pourtant limpide comme du jus de diots. Nous sommes des incompris, clairement. Explications de texte : à l’heure où le ski de randonnée, la raquette à neige sont devenus subitement des activités ultra branchées, qui s’étalent même dans le Figaro (on croit rêver), on est en droit de se demander si la peau de phoque et la toque de trappeur façon castor sont vraiment l’horizon indépassable des stations de ski. Certains le crient haut et fort. 

PRENDRE LA CLÉ DE 12 ET DÉMONTER LES PYLONES ILLICO ?

Si l’on en croit l’emballement médiatique actuel, c’est certain, le ski mécanisé n’a plus d’avenir, il faut prendre la clé de 12 et démonter les pylônes illico. Cette idée perverse prend forme après le jour d’après (ça fait quoi comme date dans le calendrier ?), depuis que le semblant de conscience politique ne sert qu’à déterminer ce qui est nécessaire ou pas, ce qui est acceptable ou pas, la moraline (oui, oui, ce mot existe réellement) a de beaux jours devant elle. Certains pigistes peu inspirés, en mal de copies (mal payées) ont jeté du kérosène sur le feu médiatique en pondant de pseudo tribunes où les titres tournent invariablement autour de : « Les stations doivent se réinventer, fin annoncée du ski mécanisé ». Un credo auquel on adhère totalement : remplacer les télécabines par l’héliski pour tous, un genre de revenu universel pour skieur, soufflé par Benoit H, on ne peut qu’adhérer fortement à ce concept, nous, adeptes du 100 millimètres au patin. 

LES STATIONS N’ONT PAS ATTENDU LES SPIN DOCTORS VERTS

Revenons à ces pigistes qui se sont pavanés pendant des années dans les stations, invités dans les hôtels luxe, glougloutant dans les SPA qui se prennent maintenant pour des éminences blanches… J’ai les noms. C’est le syndrome YAB (ça marche aussi avec NicoH), des initiales d’un photographe célèbre qui a passé sa vie en hélico à photographier « la terre vue du rotor » avant de se racheter une (bonne) conscience et de donner des leçons de moralité discount. Oui, d’accord, les stations doivent changer et certaines n’ont pas attendu les spin doctors verts pour diminuer la part du tout ski, développer la multi-activité et penser quatre saisons. Oui, certaines d’entre-elles ont déconné (et persistent) à plein canons à neige en lançant des projets de liaisons surréalistes inter-stations qui ne font pas sens. Le téléphérique géant avec piscine à vagues intégrée, qui relie Isola 2000 à Chamonix avec une gare en plein centre de Grenoble, a sans doute énervé le maire du pays de la noix qui ne supporte pas d’avoir un forfait qui tape à la poche de sa veste. Un truc qui l’excède autant que Yannick Jadot, du même niveau que regarder un porno via la 5G (la cassette VHS fait moins d’ondes mais difficile de passer inaperçu dans l’ascenseur avec le magnétoscope sous le bras) … 

LA PLACE DU SKI DE RANDONNÉE SUR L’ÉCHIQUIER MEDIATIQUE N’EST PAS LA BONNE

Pour résumer : certaines voix bénéficiant de tribunes indues enterrent un peu trop vite les stations et la place du ski de randonnée sur l’échiquier médiatique n’est pas la bonne. La rando est une activité géniale qui mérite bien plus que d’être placée en tête de gondole, comme un vulgaire produit de substitution au ski mécanisé. 

De toute façon, c’est écrit par le réchauffement climatique, les stations vont changer mais pas au rythme des yaka et des faukon, illustrations vivantes de l’effet de Flynn. La réalité des 250 stations françaises est complexe, on ne peut pas plaquer les mêmes recettes à la station du Gers et à la plus haute d’Europe, Val Thorens. Certaines sont habitées à l’année et se confondent avec les lieux de vie, d’autres, sont orientées 100% ski. Celles situées à des altitudes proches de 1000 mètres ne mettent plus, depuis longtemps (les hivers sans neige 89/90 ont été déclencheurs de prises de conscience), leurs œufs dans les mêmes traineaux. Les lignes ont déjà bougé et les socio-professionnels n’ont pas attendu les contempteurs en mousse pour réaliser que le tout ski avait ses limites, mais de là à jeter le bébé avec l’eau du bain… Le ski voit forcément sa part diminuer sous différents effets exogènes mais cette activité n’est pas le grand satan décrit ni un acte peccamineux. Des dizaines de milliers de personnes vivent de cette activité, cette glisse se confond avec leur culture. 

ON NE S’INTERDIT AUCUNE PISTE DE RÉFLEXION

On fait partie d’un think tank (véridique) dont la mission légèrement (ou carrément) pompeuse est de réfléchir aux stations du futur. C’est le genre de cercle où l’on croit que l’on va picoler et manger en devisant entre personnes de bonne société. Loupé. C’est surtout un lieu où l’on produit du jus de crâne sans écarter aucune option. Dans l’un des groupes, dont la mission est d’apporter des réponses aux enjeux environnementaux, on a même réfléchi à des pylônes en bambou, une option somme toute réaliste puisque, jusqu’à preuve du contraire, le panda n’est pas une espèce endémique en France, donc pas de risques de grignotages en vue. Mais l’idée qui semblait lumineuse a été malheureusement rejetée après examen, car avec le bambou, lorsqu’un gros monte dans une cabine, les câbles touchent les sapins à cause des pylônes flexibles… On le voit, on ne s’interdit aucune piste de réflexion. 

S’ASSEOIR SUR LE BOUTON « STOP » DES TÉLÉSIÈGES, FAÇON PLUG ANAL

Alors, quand on entend qu’en l’absence d’ouverture des stations, le ski de randonnée, le ski de fond et la raquette à neige vont sauver nos montagnes et remplacer le travail perdu par le ski mécanisé… on manque s’étouffer avec la croute de la tome Abbaye de Tamié. Que les choses soient claires, il y a 20 ans, je travaillais comme rédacteur en chef d’un obscur magazine de ski dédié au ski de randonnée. J’ai passé mon temps à vanter les mérites, à la fois de la peau de phoque et des prémisses de la rando freeride : peu de montée et plaisir de la descente à partir des stations. J’ai même pris le départ de la Pierra Menta en combinaison ridicule et tuyau de la poche à eau sur l’épaule. Avec mon coéquipier, on a tout juste réussi à finir dans le peloton de queue, on a mis cinq ans à récupérer des quatre étapes ; le genre de palmarès sur lequel on ne s’étend pas trop… Ces précisions ne sont pas là pour faire le malin mais pour que l’on ne me taxe pas d’anti barbus primaire, d’anti raquettes et encore moins de flingueur de ski de fond (torture que je pratique aussi en me cachant dans les bois vu mon style en skating). Toutes les activités sont respectables, voilà pour la dose de conformisme bon marché. 

Non, les articles dithyrambiques sur l’embellie soudaine de ces pratiques se trompent. Si le nombre de randonneurs a explosé cet hiver c’est parce que, bien entendu, Manu et sa bande de technocrates, se sont assis sur le bouton « stop » des télésièges, façon plug anal. Ça leur a fait du bien mais nous, on l’a senti passer. 

1H30 DE MONTÉE… POUR 5 MINUTES DE DESCENTE. ÇA PÈTE L’AMBIANCE. 

Sans être grand clerc, l’hiver 21/22 verra une progression des ventes de matériel qui suit une évolution logique et quasi régulière depuis 15 ans. Mais le pic de l’hiver 2021 est un épiphénomène. Par contre, on peut vous prédire de très bonnes affaires sur Leboncoin, le site des vendeurs de tapis fauchés : des centaines de skis de rando achetés à prix d’or vont être bradés la saison prochaine. Pourquoi ? Le ski de randonnée est avant tout un sport d’endurance. Le plaisir de la glisse est aléatoire, en fonction des expositions, de l’altitude choisie, de l’évolution du manteau neigeux. La croute est aussi présente que dans un saucisson brioché. La randonnée demande des efforts, on transpire, on jure après le poids du matos, on tempête contre les fixations qui ne veulent pas s’enclencher, contre les skis qui se barrent dans les dévers, on force comme des bêtes pour décoller ces foutues peaux qui curieusement ne tiennent pas sous les skis, et, argument massue, le sexe féminin est sous représenté, c’est l’inverse de Tinder… Il faut donc un minimum de caisse et d’abnégation voire de masochisme : boule et cagoule. Tout candidat randonneur doit être très au clair avec le code de reconnaissance des gangstas de la peau de phoque, un signe cabalistique tatoué sur les mollets : 1,30/5. Décodage ? On monte une heure trente… pour cinq minutes de descente. Ce n’est jamais très bon de faire durer autant les préliminaires pour une telle brièveté dans le feu d’artifice. Je sais, on vient de péter durablement l’ambiance.

LES RANDONNEURS ET LEUR PRATIQUE DE L’ENFOUISSEMENT SE PRENNENT POUR DES DÉCHETS NUCLEAIRES  

Deuxième point, le matériel coute cher, il n’est pas facile d’emploi, il nécessite un apprentissage pour être maîtrisé. On a assisté à des discussions croquignolesques dans les magasins entre vendeurs et futurs randonneurs. Les sujets d’ébaubissement sont vastes : quel standard de fixations, type de chaussures, poids des skis, lignes de cote, choix du DVA, genre de peaux, textile, bâtons, sac, sonde, pelle, slip fourré… ? C’est ensuite une pratique qui est loin d’être anodine en termes de sécurité. On a bien vu que plus souvent qu’à l’accoutumée, les randonneurs se prennent pour des déchets nucléaires : ils pratiquent l’enfouissement… profond. À défaut d’être millénaire, au moins jusqu’au printemps… Le DVA, quand le skieur en porte un, ne sert qu’à retrouver le portefeuille avec la carte bleue, les clés du Duster. Alors que dans les grandes stations, on a les Swedex pour purger préventivement les pentes des avalanches, en randonnée, on n’a pas accès à ce service prémium. Je vois qu’au fond de la salle, quelqu’un lève le doigt : vous ne savez pas ce qu’est un Swedex ? Définition : c’est un skieur suédois qui évolue généralement à Chamonix, la Grave et même à Val d’Isère. Ce cousin des vikings ne se pose aucune question dans les pentes : il s’élance, trace, déclenche, purge, se fait embarquer dans les coulées d’où le nom de sweedex, contraction de swedish et de gazex. La version « Léon » du ski : un nettoyeur d’utilité publique. 

LOURDES TOUS LES JOURS, UNE SUITE ININTERROMPUE DE MIRACLES

Bref, pour les randonneurs, nos amis que l’on appelle affectueusement les joueurs de xylophone, c’est Lourdes tous les jours, une suite ininterrompue de miracles. Il y a bien des accidents d’avalanches mais finalement peu au regard des risques pris consciemment ou non. Parfois, même les plus malins arrivent à se faire « coffrer » – c’est l’expression consacrée – alors, on peut imaginer la suite pour les néo randonneurs qui ont vu de la lumière et sont entrés un peu par hasard dans le ski sauvage parce que les remontées mécaniques avaient piscine… La connaissance du manteau neigeux, l’interprétation de ses caprices et surtout de ses nombreux pièges, nécessitent un apprentissage à côté duquel un passage dans le monastère des moines copistes du Nom de la Rose est une franche rigolade. 

Certains pratiquants de raquettes sont au mitan du randonneur et du skieur de fond. Les trappeurs osent parfois tout, y compris se balancer dans de grandes pentes, hautes, très hautes, pentues, très pentues… Là encore, il y a beaucoup de miracles. Certains tracent sans se poser de questions quitte à se prendre de grands revers de raquettes dans la tronche. Ici les balles fusent, faut faire très gaffe quand on ne sait pas où l’on met son tamis. 

POUR 1 EURO DÉPENSÉ DANS UN FORFAIT, 6 AUTRES DÉBOURSÉS DANS LA STATION

Le ski de fond, cette activité qui n’est désormais plus du tout désuète depuis un certain Martin Fourcade, est en passe de faire une saison historique, et c’est tant mieux. Mais il ne faut cependant pas s’y tromper, cette activité est pratiquée à des altitudes où l’enneigement est très aléatoire. Sur dix ans, combien de saisons ont été satisfaisantes pour glisser de décembre à mars, pour faire vivre des moniteurs, restaurateurs, dameurs et tout l’éco système qui va avec ? 

Ski de randonnée, raquettes, ski de fond profitent à plein de la fermeture des stations, c’est une très bonne chose (encore du free cirage de pompes). Mais on sait combien il est difficile de gagner sa vie en tant que professionnel lorsque l’on est accompagnateur en moyenne montagne, ou même guide. Si l’on supprime le ski mécanisé du paysage, des milliers d’emplois disparaissent. Pour un euro dépensé dans un forfait de ski, six autres euros sont déboursés dans la station, c’est une loi d’airain. Il ne faudrait donc pas trop pousser le ski à forfait dans les escaliers du CAF. Les gains avec la randonnée et la raquette sont marginaux et ne suffisent pas à fixer les jeunes et les autres dans les montagnes. 

ON RÊVE DU CHUINTEMENT DES CÂBLES DE TÉLÉCABINES SUR LES POULIES

Une récente pétition verte qui remet en question les stations de manière abrupte propose, par exemple, de valoriser l’agriculture bio, la filière bois pour compenser. Certes, après avoir passé le monitorat de ski, forgé une clientèle, acquis un savoir-faire, on a acheté quelques chèvres, une tronçonneuse (électrique), un hectare de terrain pour la culture du chanvre afin de répondre à la vision de nos territoires qu’ont certains. Comme ça, on sera raccord avec l’air du temps, quitte à vivoter ; une vie d’équilibre rythmée par les tisanes détox (bio), dans des tasses en terre cuite (pétries sous les aisselles de la potière velue du village), en partageant des biscuits apéritifs (gluten free), des brochettes de viande végétale (label vert antispécisme, le bœuf en rigole encore…), avec un café sans caféine (commerce équitable) et un dessert (sugar free) à base de racines de salsepareille (nourries aux intrants de toilette sèche). Un coup à se biodégrader le moral. On ne va pas se fatiguer à décrire le plaisir central de la glisse, le vertige du dénivelé, la finesse des appuis dans la profonde, le paysage qui défile, la vitesse, l’élévation, les équations de courbes, le jeu avec le terrain, les options gagnantes dans ce matériau vivant qu’est la neige. On revendique le droit de skier à partir des remontées mécaniques, uniquement pour le plaisir de la glisse, sans le combo (très) respectable, montée en peaux/descente. Quand on s’endort le soir, on rêve du chuintement des câbles de télécabines sur les poulies, de l’odeur épaisse de la graisse dans les gares de départ et même de la contrôleuse acariâtre des 3 Vallées. Comme on a une sacrée descente, on rêve de forfait illimité. 

Par Franck Oddoux. Illustrations Istock. Photo F.Oddoux. Merci à Christian Moretti.

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TOUS VACCINÉS (de force) CONTRE LE SKI…

Sauf si Dédé, perchman de son état, dérape sur une croute de reblochon fermier (le plus gras, le plus glissant) et donne un coup de tête malencontreux sur le gros bouton rouge « ON » du téléski, on va passer l’hiver sans remontées mécaniques. C’est désormais officiel. Un sous-fifre, une drôle d’espèce malheureusement en voie de prolifération dans notre pays, un « secrétaire d’État chargé du Tourisme » l’a annoncé… par téléphone ! Le « tél », c’est d’ailleurs le seul cas où la distanciation est recommandée… pour ne pas se faire rôtir à la broche par les professionnels de la montagne façon cuissot de chevreuil. 

« OSER DÉFENDRE LE SKI ALPIN, C’EST COMME ROULER SUR UNE PISTE CYCLABLE AVEC UN GROS 4X4 » 

Afin d’arrondir les angles de ce papier qui prend béatement fait et cause pour les stations, je tiens à me barder de précautions. Les brouettes de lettres d’insultes ça passe encore, mais chez LicenceToWrite, nous sommes en dépassement de budget « démineurs colis piégés ». Car, de nos jours, oser défendre le ski alpin, c’est comme rouler sur une piste cyclable le coude à la portière d’un gros 4X4 exhalant une fumée noire, en bousculant un landau avec des jumeaux dedans : carrément honteux, on prend direct 20 ans de goulag sans réduction de peine. Oser dire que l’on aime toutes ces choses, c’est courageux et relève du pur suicide social : le télésiège, les dameuses, les jalons, les odeurs de frites sur les pistes, le mauvais vin chaud, le planté de bâton…. C’est flirter à coup sûr avec le point Godwin. 

« ON VEUT BIEN RESPECTER LA LOI SI TOUT LE MONDE JOUE COLLECTIF »

Pas convaincu par ce préalable frileux ? On en remet une deuxième petite couche pour être totalement PC (Politiquement Correct)… Oui, les stations ne sont sans doute pas les plus vertueuses en matière d’environnement et elles doivent progresser, elles ne sont pas « indispensables » dans la vie quotidienne pour reprendre une rhétorique bassement politicienne. Au risque de choquer et d’exploser le budget déminage LTW, le ski alpin, sur la pyramide des besoins de Maslow, se situe juste au-dessus de la sous-tasse en carton et le fil dentaire silicone. On peut vivre sans. Sauf que pour nous, c’est notre job. Notre activité rapporte 10 milliards d’euros à la France de retombées touristiques, elle procure des jobs (directs) à plus de 120 000 personnes ; elle vient pourtant d’être balayée d’un revers de la main par un gouvernement et des administrations qui auraient du mal à gérer une MJC de quartier. 

« LA SAUTERIE DU LIEURON, APPELÉE « RAVE », A DURÉ 36 HEURES AVEC 2400 PARTICIPANTS«   

Car la fermeture des stations est une décision tout à fait logique quand le reste du pays est au même diapason (on ne parle même plus d’Europe avec les stations en partie ouvertes en Autriche, Espagne (1) et Suisse). On veut bien respecter la loi si tout le monde joue collectif, si les décisions servent à quelque chose de loin et à contre-jour, mais ce n’est pas le cas. La liste des scandales de la gestion de la crise Covid-19 est pourtant sans fin, dans nos stations de ski désormais fermées, on a plus que l’impression de payer pour cette incurie. 

Nos remontées mécaniques ne bougeront donc pas d’un poil… alors que pendant les fêtes de Noël, la SNCF a entassé 3,7 millions de personnes dans ses wagons à bestiaux. Les centres commerciaux débordaient de consommateurs fourmis, dans le même temps, la RATP s’illustrait par une gestion calamiteuse avec des rames farcies à la Covid-19… Mais les gaulois sont un peuple à la bonne humeur inébranlable, au plus profond d’une crise, ils sont toujours prompts à dégainer une poignée d’ecstasies et un mur d’enceintes de 10 000 watts. La petite sauterie du Lieuron (2), appelée délicatement « Rave », a duré 36 heures. 2400 participants ; on peut appeler ça un franc succès à l’heure du couvre-feu, des gestes barrières et des interdictions de rassemblement ? La faute de goût ? La maréchaussée qui voulait festoyer avec les teufeurs s’est faite injustement renverser la fourgonnette et a essuyé des jets de bouteilles. Tout homme habillé en bleu avec une casquette n’est pas forcément un préposé au tri sélectif.   

« … ET MÊME LES PARTOUZEURS DU RÉVEILLON 2021 !« 

Après toutes ces dérives de comportement répertoriées dans l’hexagone, qui expliquent sans doute le rebond épidémique (il y aura toujours un spécialiste pour nous prouver le contraire), on n’en voudra donc pas aux esthètes marseillais du contact humain, très tactiles, ceux que l’on appelle désormais les partouzeurs du Réveillon 2021 (3). 27 personnes verbalisées dans le plus simple appareil (à quoi on accroche le PV dans ce cas, à défaut d’essuie-glace ?), c’est finalement peu, bien en dessous de la jauge de la connerie ambiante dans ce pays. Ils avaient pourtant bien fait les choses : un sapin, des boules, des branches et même du gel et des masques selon un agent de police. Ce dernier s’est d’ailleurs laissé aller à quelques confidences grivoises, évoquant des masques « portés sur les yeux  » et du gel qui n’était malheureusement « pas hydroalcoolique  ». Ce commentaire a bien entendu fait les gorges chaudes (hot deep throat (4) ?) de la presse. L’agent de police en question, auteur de ces bons mots, a d’ailleurs été immédiatement recruté par Rire & Chansons. 

« AUX JEUX OLYMPIQUES DU FIASCO, LA FRANCE TRUSTE LE PODIUM »

Reprenons le fil du papier. Pendant que dans la capitale phocéenne on travaillait l’art du body-body caliente, nos stations espéraient innocemment une prochaine ouverture. Notre chef suprême, Manu, et ses conseillers qui avancent masqués, nous vantaient les vertus du techno vaccin, comme des vendeurs de bagnoles. On l’a laissé parler, ça lui fait du bien à Manu. De notre côté, on prend sur soi : après les couleuvres des masques soi-disant inutiles puis parés de toutes les qualités, les couvre-feu tueurs d’apéro, les chiffres trafiqués, les doses de vaccin qui manquent à l’appel, la désorganisation totale, jusqu’à la taille des aiguilles (5) qui ne va pas… on a été très patients. Si les Jeux Olympiques du Fiasco se disputaient en 2021 (pas de chance, ceux de Tokyo ont pris le créneau cette année), la France aurait immanquablement trusté le podium. On a vécu un moment historique, les débuts tonitruants de la campagne de vaccination : 430 personnes piquées en 7 jours. À ce rythme de sénateur, l’opération pourrait durer jusqu’à ce que les archéologues découvrent un sourire de Jean-Pierre Bacri dans les archives de l’INA. 

« QUI AVALE UNE NOIX DE COCO FAIT CONFIANCE À SON ANUS »

Au sujet du risque ou non de se faire vacciner, un pote qui a participé aux épreuves olympiques de ski pour un pays africain, m’a lâché cette phrase sibylline : « Qui avale une noix de coco fait confiance à son anus ». Sur le coup, je n’ai pas bien compris le fond de sa pensée, sans doute une forme de complotisme africain épicé… Notre avis : il faut se faire piquer car le vaccin va sauver le monde, la galaxie entière jusqu’à la porte de Tannhäuser (6) et aurait pu protéger nos stations de ski. Mais le doute s’est immiscé, instillé par les complotistes qui affirment que Tom Cruise serait à l’origine de la potion ARN. Quand on repasse le film Cocktail (7) en marche arrière, on voit bien que le scientologue avait déjà la recette dans le shaker. Les russes, n’ayant pas un acteur aux dents si blanches, ont juste piraté la formule de base en ajoutant un trait de vodka de contrebande : le Spoutnik V était né. Bon, pas de chance, malgré l’efficacité décoiffante des vaccins, le timing des campagnes de vaccinations n’est pas bon, cette histoire devrait trainer au moins jusqu’à cet été, minimum. L’effet papillon a grossi jusqu’à paralyser toute notre industrie du ski. 

« ON EST EN GUERRE MAIS ON SE BAT AVEC DES COTONS TIGES »

Rétro planning sur un désastre qui était pourtant annoncé… Dès le mois d’août 2020, les allemands travaillaient (un peuple bosseur même si parfois envahissant) sur des vaccinodromes, sur le modèle éprouvé des eros-centers. Pendant qu’ils mettaient au point le mondial de la fléchette partout dans les Lande, nos responsables tricolores ont prolongé leurs vacances en Thaïlande. Retour de la dream team en tongs, en octobre, juste le temps de commander quelques doses de vaccin sur Amazon et de s’apercevoir que l’art de la logistique ne s’applique pas aux technocrates, incompétents et beaux parleurs grassement rémunérés. On est en guerre mais on se bat avec des cotons tiges scruteurs de trous de nez. Pensées particulières au personnel soignant qui est courageusement sur le front depuis plus d’un an, des personnes que l’État prend régulièrement pour des jambons cuits à l’étouffée. Du coup, pour masquer les lacunes de l’État, on interdit, on légifère, on bloque, on régule, on ventile. Un pays où il faut se battre pour aller bosser. Une contrée où l’on développe des trésors d’imagination pour saborder des activités florissantes comme l’industrie du ski. 

« ON A L’OUTRECUIDANCE DE DÉCLARER QUE LA FERMETURE DES STATIONS EST INJUSTE »

Les instances dirigeantes n’ont même pas eu la droiture de jouer franc jeu, elles ont baladé les professionnels pendant des mois dans un irrespect total, faisant miroiter une hypothétique reprise de l’activité. La parade, afin d’acheter la paix sociale en montagne, a été d’arroser d’aides tous azimuts, certains en recevant beaucoup, peu ou pas du tout (cocher la case et renvoyer le Cerfa svp). Chaque organisation professionnelle est montée au créneau pour défendre son beefsteak, de manière dispersée. Nous avons pourtant vocation à gagner nous-mêmes notre croûte au fromage. Avec 120 % du PIB de dette, 2700 milliards de créances au troisième trimestre 2020, un emprunt de 7 milliards sur 50 ans contracté ces derniers jours (8), on laisse à nos enfants un couvercle de plomb. Les montagnards vont encaisser les aides mais ils sont lucides sur la situation : c’est une catastrophe. Alors oui, on a l’outrecuidance de déclarer que la fermeture des stations est injuste, injustifiée à l’heure où le reste du pays continue à fonctionner dans l’hypocrisie et la comédie généralisée de règles sociales soi-disant protectrices. Le couperet est tombé : on peut prendre le métro mais pas un télésiège. De toute façon, la Covid-19, avec ses variants, c’est désormais United Colors of Benetton, on se fait des potes sur toute la planète. À choisir, entre le variant anglais (le cousin du Patient (9)) ou le sud-africain, on a un faible pour le brésilien, on ne sait pas pourquoi, il semble nettement plus sensuel. Le seul virus au monde en string (on dit « fio dental » à Rio) : aguicheur, bouillant, vicieux, terriblement attachant mais foudroyant comme le pic à glace planqué sous le lit par Sharon Stone dans Basic Instinct (10). L’été 2021 promet d’être très chaud. 

Par Franck Oddoux. Photo Christian Moretti.

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Les Bronzés montent à Paname !

« Écoute Bernard, je crois que toi et moi, on a un peu le même problème, on ne peut pas tout miser sur notre physique… oublie que tu n’as aucune chance, vas-y fonce, on ne sait jamais, sur un malentendu… ça peut marcher… » (1). Certains lisent l’intégrale de Marguerite Yourcenar ou le « Capital au XXIe siècle » de Thomas Piketty (un mœllon qui sert le plus souvent à caler les veilles armoires normandes bancales), nous, dans nos vallées glaciales, notre monument culturel est tiré d’une vieille cassette VHS : Les Bronzés font du ski.

VU QUE SKIER EST DEVENU DÉLICTUEUX, ON PROPOSE UNE ACTION FORTE…

Après tout, quand on voit qu’une Aya Nakamura (2) a été érigée en ambassadrice de la langue française par le parti au gouvernement, on est en droit de s’étouffer avec notre soupe aux glands. Donc, tous les espoirs sont permis, notre pote, Raoul, qui officie comme bouilleur de cru du côté de la Clusaz a toutes les chances d’entrer à l’Académie Française. 

Revenons à nos spatules qui rouillent dans les racks à skis : « on ne sait jamais, sur un malentendu… ça peut marcher… »(3). Vu que skier est devenu délictueux, ce qui est totalement compréhensible vu que nous sommes peu fréquentables et inscrits au fichier S, S comme skieur (qui répertorie tous les dangereux bipèdes, ceux au-dessus de la troisième étoile), on propose une action forte. 

L’ÉRECTION D’UNE MONTAGNE DE SKIS, UN AGIT PROP MONTAGNARD

Loin de nous de promouvoir une quelconque manifestation pour défendre des droits jugés indus en haut lieu… Non, non, on propose juste un petit geste pour la planète, un immense recyclage, nettoyage, une braderie de bandits : l’érection d’une montagne de skis. Que chaque glisseur récupère la brassée de vieux skis qui moisissent au fond du garage dans l’espoir de faire un jour une déco hype (mais pourrie) sur la cheminée, mais aussi de vieilles pompes de ski, des snowboards, skwal, monoskis, skis de fond (raquettes à neige pour renvoyer les LBD aux CRS)… On prend le train vu que c’est autorisé au même titre que les centres commerciaux, les messes et autres lieux où il a été décidé que la Covid n’existe pas… on monte à Paris avec nos gros sabots et on fait un gros paquet cadeau balancé sur le trottoir de nos amis technocrates qui ont décidé de fermer les stations. Ils pourront même prendre « une leçon particulière avec Anne Laurencin », « une journée entière, c’est comme ça que l’on progresse » (4). Car notre chef d’état, on l’a bien vu sur les photos de son séjour sur les pistes pyrénéennes, manque de dissociation des pieds, d’appui languette et d’anticipation du buste vers l’aval. « Flexion, piqué du bâton, extension… monsieur Dusse » (5). S’il veut prendre le départ du Kandahar de Garmisch-Partenkirchen, vu qu’il semble très proche d’Angela quand il s’agit de passer les stations au lance-flamme (référence au précédent papier de LTW), il va falloir qu’il révise son mémento de skieur. Et mollo sur le Glühwein… 

QUAND LE POUVOIR EST SOURD… IL FAUT LUI CRIER DANS LE SONOTONE

Notre action parisienne s’appelle de l’agit prop montagnard. On ne se fatiguera même pas à se déguiser en Popeye et JC Dusse, on a tellement été traités comme des ploucs des alpages que sans doute, on doit en avoir le look. Le côté positif ? On va faire carton plein dans la capitale avec nos trognes du terroir, un genre de salon de l’agriculture mais animé : les enfants qui n’ont jamais vu de cochons en vrai vont adorer. N’oublions pas nos skis, nos chaussures 3 ou 4 crochets (les SX 92 équipe sont aussi acceptées), et non, Marcel, tu ne seras pas autorisé à balancer un bidon d’essence sur l’immense montagne que l’on va ériger, même si ça ressemble à un bonfire. Notre action sera quand même plus classe que des hectolitres de lisier, nectar de toute façon trop difficile à trimballer dans le train en jerricans de 20 litres. Question ? Sera-t-on autorisés à sortir de nos réserves d’indiens pour monter à Paname ? En effet, au rythme des décisions intelligentes des énarques, on va bientôt être classés au Patrimoine Immatériel de l’Humanité. Ils l’avaient bien dit dans les Bronzés, notre bible prémonitoire : « Moi j’ai acheté cet appartement du 15 au 30, si tout le monde dépasse d’une demi-journée, qu’est ce qui se passe ? L’année prochaine, je skie en juillet ! ». Ou pas… On aura peut-être, d’ici là, été rayés de la carte. On s’organise ou on se laisse retourner comme des peaux de lapins ? Quand on n’a pas l’oreille du pouvoir… il faut lui crier dans le sonotone. 

Par Franck Oddoux

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Nos stations de ski passées au lance-flammes…

Nous, Crétins des Alpes (et des Pyrénées), on aime les choses franches du collier, les interlocuteurs droits dans leurs bottes. Les parties de poker menteur, très peu pour nous. Du fond de nos vallées reculées où nous avons à peine l’électricité, où nous nous lavons une fois par semaine les dents au savon noir, on pensait innocemment que notre florissante industrie du ski avait l’oreille de nos dirigeants. On vient pourtant d’être passés au lance-flammes, bernés par une pseudo consultation. Le gros bec Bunsen fait des cloques, et nous, les cloques, on n’aime pas ça. 

La terre sur les tapis mœlleux de l’Élysée, ça énerve nos dirigeants. 

Pourtant, on pensait sincèrement que nous étions devenus fréquentables, surtout depuis que l’on prend scrupuleusement nos pastilles d’iode afin de diminuer la taille de nos goîtres, une protubérance qui étonne encore aux soirées de l’ambassadeur à Paris (alors qu’à Saint Michel de Maurienne, ça passe comme une lettre à la Poste). Même chose pour la terre sous nos chaussures que l’on sème sur les tapis mœlleux de l’Élysée, ça semble énerver nos dirigeants. 

En tout cas, suite aux décisions du Château, il ne reste plus qu’à balayer nos cendres et les disperser au vent des cimes. Brûlés au troisième degré nous sommes. 

Même les curés ont fait mieux que nous !

Nos instances censées défendre notre cause en haut lieu (on ne citera aucun nom car elles sont très promptes à condamner tout avis dissonant) ont fait un lobbying très tardif, désordonné et finalement inaudible. Elles n’ont même pas anticipé le fait qu’il peut y avoir des décisions supra nationales venant de l’Europe… Alors que l’Italie devrait fermer ses stations jusqu’en janvier et qu’elle met la pression à l’Allemagne et l’Autriche pour en faire de même, il y avait de grandes chances pour que notre président aille aussi dans ce sens : ça s’appelle l’harmonisation européenne. On aurait aimé qu’ils s’entendent un peu avant, par exemple, sur les diplômes européens de moniteurs de ski qui ont leurs plombiers polonais, certains moniteurs anglais, qui avec leur diplôme délivré sur un sous bock de bière, ont fait une concurrence déloyale honteuse. Mais avec le Brexit, 2000 moniteurs fish & chips rentrent désormais chez eux (1). Dans ce cas, l’harmonisation européenne n’y est pour rien dans la résolution du problème. Un gros doute : l’Europe ne servirait-elle à rien et même, serait-elle une forme d’embrouilles en fermant de manière concertée nos stations ? Ça s’appelle la double peine. En tout cas, retour dans nos cordes, pas d’ouverture avant le 20 janvier. Même les curés ont fait mieux que nous avec l’ouverture prochaine des lieux de culte. Il faut dire que toutes les mesures de protections ont été prises par les sacrées soutanes : hostie passée au gel hydro-alcoolique, cabines individuelles en plexiglas avec missel Apple connecté, confessionnal pressurisé, prêtres qui ne joueront plus avec les petits garçons sur leurs genoux, ou alors seulement avec des gants… Les stations auraient dû s’inspirer de l’église pour le lobbying, car elle a prouvé que Dieu existe : le Puy Du Fou n’a-t-il pas été ouvert avec des jauges bien au-dessus des limites légales ? (2)

On anesthésie à la gnole, un élixir floral…

Notre médecin de campagne qui a surtout suivi de longues études vétérinaires, nous avait pourtant bien averti, et ce, dès le mois d’octobre : ce qui allait coincer pour l’ouverture des stations, c’est l’absence de lits en réanimation/traumatologie dans les hôpitaux de Moutiers, Albertville, Grenoble, Sallanches, Briançon… « Réa », ils n’ont que ces mots à la bouche… De part chez nous, on anesthésie à la gnole, un élixir floral de tout premier ordre qui soigne quasiment tout. Et puis, ceux qui chutent à ski et se pètent, méritent tout simplement d’être balancés dans le Doron, aux truites. Un skieur doit savoir tenir debout sinon il fait de la luge. Mais sans doute, doit-on payer pour les décisions ineptes d’un centralisme d’état qui dépense sans compter pour une administration incompétente gangrénée par des technocrates. Le genre de système pyramidal qui enchaine les scandales comme nous les diots au petit déjeuner. On ne va pas s’étendre ici sur la longue liste des décisions illogiques et cafouillages… Que font les ARS au juste ? Pas de cliniques privées qui peuvent prendre le relais ? On a le droit de consommer collé-serré dans les supermarchés mais pas de skier sur une piste bleue ? Avec notre bon sens paysan, on aurait bien vu par exemple les milliards d’euros d’aides à Air France (quelle entreprise vertueuse !) détournés au profit des personnels soignants et à la création de nouveaux lits en réa. Voici notre programme électoral, un peu bas du front, on en convient. 

Troisième rang mondial derrière l’Autriche et les USA

Non, nous nous sommes lourdement trompés, on a bien vu assis devant nos télés en noir et blanc, quand le président a parlé sur Antenne 2 : il n’a pas apprécié nos cadeaux. La caisse de vin de Savoie (le bon, pas celui qui nous sert à décoller les vieilles tapisseries) et la boule à neige avec edelweiss pour Brigitte n’ont pas suffi à infléchir l’infléchissable. Apparemment, là-haut, au-dessus d’Albertville, dans une contrée reculée que l’on appelle Paris, les dirigeants boivent plutôt du Dom Pé. D’un point de vue économique, on ne peut pourtant pas dire que l’on n’a pas le sens des affaires. Le ski, ce sont 250 stations, 10 milliards d’euros de retombées, 10 millions de touristes et plus de 120 000 emplois directs. Avec nos gueules de Crétins des Alpes, nous sommes au troisième rang mondial derrière l’Autriche et les USA. Nos mains calleuses savent compter les grosses coupures que l’on planque dans des boites en fer au fond de nos grands jardins. D’ailleurs, chez nous, on ne dit pas « comment ça va » mais « combien ça va ». On traine cette mauvaise réputation injustifiée. Réflexe, quand les touristes nous serrent la main, ils recomptent leurs doigts. Nous avons inventé la première conversion de l’euro : un franc est équivalent à un euro. À tous les ronchons de l’économie, il faut dire qu’il faut un sacré talent pour vendre une pizza à presque 20 euros, sans doute l’effet de l’altitude, au-delà de 1500 mètres, les chiffres sont comme la levure, ils gonflent. Donc, nous, contrairement à une certaine frange de la population, on crée de la richesse et on rapporte à l’état qui ne nous oublie jamais au moment des taxes : bénéfices, TVA, dîme et gabelle… L’autre pays où l’on va planquer nos valises de cash doit bien rigoler : la Suisse qui a ouvert ses stations de ski, ils vont faire une saison exceptionnelle. Dubaï également où les fortunés dépensent sans compter vu que l’interdiction de Moon Boots vient de frapper les montagnes hexagonales. 

On va faire de la résistance

Bon, et maintenant, on va faire quoi pendant que nos télésièges à plusieurs millions d’euros pièce servent de perchoirs à choucas ? On a bien vu que les bâtiments de l’Urssaf et du RSI ont été enveloppés préventivement d’un film d’amiante, certains désespérés, en effet, pourraient être tentés par la stratégie du briquet. Entre le réchauffement climatique, les attaques récurrentes des écologistes et maintenant la Covid, on va être obligé de vendre notre Porsche Cayenne. C’est de notoriété publique, en montagne, on est tous imposés à l’ISF : le saisonnier logé dans un 20 m2, le perchman qui se gèle les meules au pied du petit téléski à l’ombre, le serveur du restau d’altitude, celui qui se casse le dos pour faire essayer des pompes de skis, le plongeur, le commis de cuisine, l’éboueur… 

Avec cette crise qui n’en finit plus, nos enfants risquent même de devoir faire des études pour échouer salariés dans une administration. C’est moche. On aurait même vu des sous-sols de locations de skis reconvertis en cabines sex-cams pour du porno agricole… Mais quelle misère symbolique ! Dans un premier temps, on va faire du yoga à nous : descendre quelques sapins à grands coups de tronçonneuse, radical pour libérer ses chakras. On va faire aussi de la résistance, après tout, nous sommes un peu les descendants des maquisards, les causes perdues sont faites pour les gens têtus… comme nous. 

Par Franck Oddoux