23 / 02 / 2021
Oui, je sais. Je suis un vieux réac, un vieux con, un vieux chaispasquoi qui n’aime pas grand-chose à part moi-même et le Glenfiddich 18 ans d’âge. Et de fait, la liste de ce que je n’aime pas est plus longue que la liste des boites que l’année 2020 a laissées sur le carreau – avec l’aide, il faut le dire, de nos chers gouvernants. Mais dans cette liste, s’il y a bien une chose que je n’aime pas, une chose qui trône vers le haut du panthéon de l’aberration abhorrable, ce sont les « box », et bien entendu leurs déclinaisons sportives – running, trail, cyclisme, musculation, fitness, crossfit, sports d’équipe…
Pour les déconnectés de la « real life » qui ont passé la dernière décennie peinards dans un chalet hors réseau au cœur du Vercors, les box, c’est un peu le summum de la publicité façon ramonage à sec avec une poignée de gravier – oui merci je reprendrais bien un peu de papier de verre.
Reprenons les bases de la publicité : en premier lieu, des entreprises dont tu n’as que faire poussent vers toi des incitations plus ou moins subtiles à acheter leurs produits – spots TV, encarts publicitaires dans ton magazine préféré, annonces sponsorisées sur Facebook, publi-reportage sur France Inter. Bon, c’est chiant, mais normalement chacun de nous a la capacité de détecter ces chevaux de Troie et de les ignorer.
La deuxième étape, c’est de te faire croire que c’est vachement bien de faire toi-même la promotion de la marque – le meilleur exemple étant les cyclistes portant fiers comme Artaban les maillots de leur équipe préférée, véritables panneaux publicitaires en faveur de mutuelles, groupes de téléphonie mobile, ou états achetant leur respectabilité à coup de pétrodollars. Il va sans dire que ces maillots sont des atteintes au bon goût et sont la cause de nombre de cécités chez les personnes âgées vivant sur le bord des routes départementales. Cette fois, pour éviter d’endosser le costume de VRP ambulant pour pas un rond, il faut faire preuve de bon sens, vous savez ce truc qui a tendance à se ringardiser ?
Mais passons à la troisième étape de l’échelle publicitaire : la box. Ce fléau est apparu en 2010 aux States (bien évidemment ?), sous la géniale impulsion de deux étudiantes diplômées de la Harvard Business School (bien évidemment bis ?). Birchbox, c’est le nom de leur société (à ne pas confondre avec BitchBox, qui évolue sur un terrain moins orthodoxe mais plus honorable), propose de faire découvrir à ses abonnées (notez le féminin non inclusif) des échantillons de produits de beauté (la beauté qui s’achète en dollars ou euros, celle des stars, des magazines de mode, des réseaux sociaux, celle qu’il vous faut Mesdames, et n’allez pas imaginer que vous pouvez être belle au naturel hein). Le truc génial, c’est que vous ne vous abonnez pas pour recevoir des produits dont vous avez envie ou même besoin, mais pour recevoir des produits surprises que vous n’auriez probablement jamais achetés par ailleurs. En échange de votre argent, vous recevez chaque mois un paquet surprise renfermant quelques pots, tubes et flacons assortis d’un joli packaging et d’un storytelling excitant vos circuits de la récompense.
Mode et beauté d’abord, puis, alimentation – à la sauce bio, végétarien, vegan et sans gluten bien évidemment –, bières et vins (avec modération), livres, cinéma (non essentiel), jeux de société, pop culture, coffrets ludiques ou éducatifs pour les enfants, et bien sûr sport, tout y passe : « Impossible de ne pas trouver son bonheur » nous vante un site dédié aux box. Bizarre, moi, mon bonheur je le trouve en compagnie de ceux que j’aime, du Glenfiddich, ou au cœur des montagnes, en face de chez moi. Voire les trois à la fois. Bref.
D’un côté, vous avez donc des marques qui refourguent leurs invendus et leurs échantillons, au milieu une société qui joue les intermédiaires pour trois francs six sous, et de l’autre vous qui achetez au prix fort des produits dont tout le monde se contrefout. Juste génial : c’est vous qui demandez à être abreuvé de publicité, l’objectif étant bien entendu que vous trouviez un quelconque intérêt à l’un des produits reçus, ou mieux que votre culpabilité vous pousse à vous dire que vous n’avez pas payé pour en rester là, et paf, vous passez à l’acte, vous commandez ce truc absolument inutile après avoir payé pour être informé de son existence. Génial on vous dit (tant qu’on n’est pas doté du moindre sens moral, et qu’on se fiche de l’écologie comme de l’an 40 – ou était-ce l’an 14 ? 1515 ? – vu que toutes ces merdes, il faut bien les fabriquer, les packager, les expédier).
Mais poursuivons sur les sites vous permettant de choisir la box qui correspond le mieux à votre mode de vie, qu’écris-je, votre lifestyle : « Le concept a de quoi séduire : proposer de tester des produits que nous n’aurions peut-être même pas pensé acheter, sans prendre de risque financièrement parlant. » Désolé mais je crois que je vais devenir vulgaire. C’est sûr que 49,90 € tous les deux mois pendant six mois pour recevoir « une sélection de 5 à 7 produits de marque testés et sélectionnés pour vous par des experts », c’est juste 149,70 € jetés par la fenêtre. Effectivement il n’y a aucun risque, c’est juste une perte sèche.
Allez encore un petit argument marketing qui vaut son pesant d’or : « Point fort des box : l’aspect communautaire. Nombre de Youtubeuses se filment en train de découvrir le contenu de leur colis, ce qui pousse les spectateurs et spectatrices à se laisser tenter. » C’est le règne de l’Instagrameuse et du Youtubeur fitness, vive le « unboxing » ! Encore une fois c’est le client lui-même qui fait la pub de l’entreprise. Cash machine ! On passera sur les « faire de la réception du colis un mini-événement, où la personne a hâte de recevoir son ‘cadeau’ et de découvrir ce que la marque lui a réservé », ou encore « Il s’agit aussi d’un gain de temps : recevoir des produits directement chez soi plutôt que d’aller les acheter en magasin permet de consacrer son temps et son énergie à des activités plus importantes », ou ce génial « Bien souvent, la valeur des produits contenus dans la box dépasse largement celui de l’abonnement. Le consommateur en a donc pour son argent. »
En avoir pour son argent ! Je rappelle qu’il s’agit de recevoir des produits dont on n’a pas besoin, et qui vont probablement finir périmés sur une étagère sombre et pleine de toiles d’araignée au-dessus de vos chiottes. Et les blogueurs, les sites de sport outdoor, les magazines, de faire la promotion de ces boites à vide, comme si cette manière de consommer était la panacée. C’est ça le monde d’après ? C’est ça être « consom’acteur » ? C’est ça la responsabilité ?
Bon, faut vraiment que je me tire. Personne n’a un chalet à vendre au fin fond du Vercors ?
Par Emmanuel Lamarle.
La box. Un fléau apparu en 2010 aux States. Nous, on dit : ZOBI LA BOX.