12 / 02 / 2021

Les phoques raquettent les stations ! Même à Libé, ils n’ont pas voulu de ce titre désarçonnant mais pourtant limpide comme du jus de diots. Nous sommes des incompris, clairement. Explications de texte : à l’heure où le ski de randonnée, la raquette à neige sont devenus subitement des activités ultra branchées, qui s’étalent même dans le Figaro (on croit rêver), on est en droit de se demander si la peau de phoque et la toque de trappeur façon castor sont vraiment l’horizon indépassable des stations de ski. Certains le crient haut et fort. 

PRENDRE LA CLÉ DE 12 ET DÉMONTER LES PYLONES ILLICO ?

Si l’on en croit l’emballement médiatique actuel, c’est certain, le ski mécanisé n’a plus d’avenir, il faut prendre la clé de 12 et démonter les pylônes illico. Cette idée perverse prend forme après le jour d’après (ça fait quoi comme date dans le calendrier ?), depuis que le semblant de conscience politique ne sert qu’à déterminer ce qui est nécessaire ou pas, ce qui est acceptable ou pas, la moraline (oui, oui, ce mot existe réellement) a de beaux jours devant elle. Certains pigistes peu inspirés, en mal de copies (mal payées) ont jeté du kérosène sur le feu médiatique en pondant de pseudo tribunes où les titres tournent invariablement autour de : « Les stations doivent se réinventer, fin annoncée du ski mécanisé ». Un credo auquel on adhère totalement : remplacer les télécabines par l’héliski pour tous, un genre de revenu universel pour skieur, soufflé par Benoit H, on ne peut qu’adhérer fortement à ce concept, nous, adeptes du 100 millimètres au patin. 

LES STATIONS N’ONT PAS ATTENDU LES SPIN DOCTORS VERTS

Revenons à ces pigistes qui se sont pavanés pendant des années dans les stations, invités dans les hôtels luxe, glougloutant dans les SPA qui se prennent maintenant pour des éminences blanches… J’ai les noms. C’est le syndrome YAB (ça marche aussi avec NicoH), des initiales d’un photographe célèbre qui a passé sa vie en hélico à photographier « la terre vue du rotor » avant de se racheter une (bonne) conscience et de donner des leçons de moralité discount. Oui, d’accord, les stations doivent changer et certaines n’ont pas attendu les spin doctors verts pour diminuer la part du tout ski, développer la multi-activité et penser quatre saisons. Oui, certaines d’entre-elles ont déconné (et persistent) à plein canons à neige en lançant des projets de liaisons surréalistes inter-stations qui ne font pas sens. Le téléphérique géant avec piscine à vagues intégrée, qui relie Isola 2000 à Chamonix avec une gare en plein centre de Grenoble, a sans doute énervé le maire du pays de la noix qui ne supporte pas d’avoir un forfait qui tape à la poche de sa veste. Un truc qui l’excède autant que Yannick Jadot, du même niveau que regarder un porno via la 5G (la cassette VHS fait moins d’ondes mais difficile de passer inaperçu dans l’ascenseur avec le magnétoscope sous le bras) … 

LA PLACE DU SKI DE RANDONNÉE SUR L’ÉCHIQUIER MEDIATIQUE N’EST PAS LA BONNE

Pour résumer : certaines voix bénéficiant de tribunes indues enterrent un peu trop vite les stations et la place du ski de randonnée sur l’échiquier médiatique n’est pas la bonne. La rando est une activité géniale qui mérite bien plus que d’être placée en tête de gondole, comme un vulgaire produit de substitution au ski mécanisé. 

De toute façon, c’est écrit par le réchauffement climatique, les stations vont changer mais pas au rythme des yaka et des faukon, illustrations vivantes de l’effet de Flynn. La réalité des 250 stations françaises est complexe, on ne peut pas plaquer les mêmes recettes à la station du Gers et à la plus haute d’Europe, Val Thorens. Certaines sont habitées à l’année et se confondent avec les lieux de vie, d’autres, sont orientées 100% ski. Celles situées à des altitudes proches de 1000 mètres ne mettent plus, depuis longtemps (les hivers sans neige 89/90 ont été déclencheurs de prises de conscience), leurs œufs dans les mêmes traineaux. Les lignes ont déjà bougé et les socio-professionnels n’ont pas attendu les contempteurs en mousse pour réaliser que le tout ski avait ses limites, mais de là à jeter le bébé avec l’eau du bain… Le ski voit forcément sa part diminuer sous différents effets exogènes mais cette activité n’est pas le grand satan décrit ni un acte peccamineux. Des dizaines de milliers de personnes vivent de cette activité, cette glisse se confond avec leur culture. 

ON NE S’INTERDIT AUCUNE PISTE DE RÉFLEXION

On fait partie d’un think tank (véridique) dont la mission légèrement (ou carrément) pompeuse est de réfléchir aux stations du futur. C’est le genre de cercle où l’on croit que l’on va picoler et manger en devisant entre personnes de bonne société. Loupé. C’est surtout un lieu où l’on produit du jus de crâne sans écarter aucune option. Dans l'un des groupes, dont la mission est d’apporter des réponses aux enjeux environnementaux, on a même réfléchi à des pylônes en bambou, une option somme toute réaliste puisque, jusqu’à preuve du contraire, le panda n’est pas une espèce endémique en France, donc pas de risques de grignotages en vue. Mais l’idée qui semblait lumineuse a été malheureusement rejetée après examen, car avec le bambou, lorsqu’un gros monte dans une cabine, les câbles touchent les sapins à cause des pylônes flexibles… On le voit, on ne s’interdit aucune piste de réflexion. 

S’ASSEOIR SUR LE BOUTON « STOP » DES TÉLÉSIÈGES, FAÇON PLUG ANAL

Alors, quand on entend qu’en l’absence d’ouverture des stations, le ski de randonnée, le ski de fond et la raquette à neige vont sauver nos montagnes et remplacer le travail perdu par le ski mécanisé… on manque s’étouffer avec la croute de la tome Abbaye de Tamié. Que les choses soient claires, il y a 20 ans, je travaillais comme rédacteur en chef d’un obscur magazine de ski dédié au ski de randonnée. J’ai passé mon temps à vanter les mérites, à la fois de la peau de phoque et des prémisses de la rando freeride : peu de montée et plaisir de la descente à partir des stations. J’ai même pris le départ de la Pierra Menta en combinaison ridicule et tuyau de la poche à eau sur l’épaule. Avec mon coéquipier, on a tout juste réussi à finir dans le peloton de queue, on a mis cinq ans à récupérer des quatre étapes ; le genre de palmarès sur lequel on ne s’étend pas trop… Ces précisions ne sont pas là pour faire le malin mais pour que l’on ne me taxe pas d’anti barbus primaire, d’anti raquettes et encore moins de flingueur de ski de fond (torture que je pratique aussi en me cachant dans les bois vu mon style en skating). Toutes les activités sont respectables, voilà pour la dose de conformisme bon marché. 

Non, les articles dithyrambiques sur l’embellie soudaine de ces pratiques se trompent. Si le nombre de randonneurs a explosé cet hiver c’est parce que, bien entendu, Manu et sa bande de technocrates, se sont assis sur le bouton « stop » des télésièges, façon plug anal. Ça leur a fait du bien mais nous, on l’a senti passer. 

1H30 DE MONTÉE… POUR 5 MINUTES DE DESCENTE. ÇA PÈTE L’AMBIANCE. 

Sans être grand clerc, l’hiver 21/22 verra une progression des ventes de matériel qui suit une évolution logique et quasi régulière depuis 15 ans. Mais le pic de l’hiver 2021 est un épiphénomène. Par contre, on peut vous prédire de très bonnes affaires sur Leboncoin, le site des vendeurs de tapis fauchés : des centaines de skis de rando achetés à prix d’or vont être bradés la saison prochaine. Pourquoi ? Le ski de randonnée est avant tout un sport d’endurance. Le plaisir de la glisse est aléatoire, en fonction des expositions, de l’altitude choisie, de l’évolution du manteau neigeux. La croute est aussi présente que dans un saucisson brioché. La randonnée demande des efforts, on transpire, on jure après le poids du matos, on tempête contre les fixations qui ne veulent pas s’enclencher, contre les skis qui se barrent dans les dévers, on force comme des bêtes pour décoller ces foutues peaux qui curieusement ne tiennent pas sous les skis, et, argument massue, le sexe féminin est sous représenté, c’est l’inverse de Tinder… Il faut donc un minimum de caisse et d’abnégation voire de masochisme : boule et cagoule. Tout candidat randonneur doit être très au clair avec le code de reconnaissance des gangstas de la peau de phoque, un signe cabalistique tatoué sur les mollets : 1,30/5. Décodage ? On monte une heure trente… pour cinq minutes de descente. Ce n’est jamais très bon de faire durer autant les préliminaires pour une telle brièveté dans le feu d’artifice. Je sais, on vient de péter durablement l’ambiance.

LES RANDONNEURS ET LEUR PRATIQUE DE L’ENFOUISSEMENT SE PRENNENT POUR DES DÉCHETS NUCLEAIRES  

Deuxième point, le matériel coute cher, il n’est pas facile d’emploi, il nécessite un apprentissage pour être maîtrisé. On a assisté à des discussions croquignolesques dans les magasins entre vendeurs et futurs randonneurs. Les sujets d’ébaubissement sont vastes : quel standard de fixations, type de chaussures, poids des skis, lignes de cote, choix du DVA, genre de peaux, textile, bâtons, sac, sonde, pelle, slip fourré… ? C’est ensuite une pratique qui est loin d’être anodine en termes de sécurité. On a bien vu que plus souvent qu’à l’accoutumée, les randonneurs se prennent pour des déchets nucléaires : ils pratiquent l’enfouissement… profond. À défaut d’être millénaire, au moins jusqu’au printemps… Le DVA, quand le skieur en porte un, ne sert qu’à retrouver le portefeuille avec la carte bleue, les clés du Duster. Alors que dans les grandes stations, on a les Swedex pour purger préventivement les pentes des avalanches, en randonnée, on n’a pas accès à ce service prémium. Je vois qu’au fond de la salle, quelqu’un lève le doigt : vous ne savez pas ce qu’est un Swedex ? Définition : c’est un skieur suédois qui évolue généralement à Chamonix, la Grave et même à Val d’Isère. Ce cousin des vikings ne se pose aucune question dans les pentes : il s’élance, trace, déclenche, purge, se fait embarquer dans les coulées d’où le nom de sweedex, contraction de swedish et de gazex. La version « Léon » du ski : un nettoyeur d’utilité publique. 

LOURDES TOUS LES JOURS, UNE SUITE ININTERROMPUE DE MIRACLES

Bref, pour les randonneurs, nos amis que l’on appelle affectueusement les joueurs de xylophone, c’est Lourdes tous les jours, une suite ininterrompue de miracles. Il y a bien des accidents d’avalanches mais finalement peu au regard des risques pris consciemment ou non. Parfois, même les plus malins arrivent à se faire « coffrer » - c’est l’expression consacrée - alors, on peut imaginer la suite pour les néo randonneurs qui ont vu de la lumière et sont entrés un peu par hasard dans le ski sauvage parce que les remontées mécaniques avaient piscine… La connaissance du manteau neigeux, l’interprétation de ses caprices et surtout de ses nombreux pièges, nécessitent un apprentissage à côté duquel un passage dans le monastère des moines copistes du Nom de la Rose est une franche rigolade. 

Certains pratiquants de raquettes sont au mitan du randonneur et du skieur de fond. Les trappeurs osent parfois tout, y compris se balancer dans de grandes pentes, hautes, très hautes, pentues, très pentues… Là encore, il y a beaucoup de miracles. Certains tracent sans se poser de questions quitte à se prendre de grands revers de raquettes dans la tronche. Ici les balles fusent, faut faire très gaffe quand on ne sait pas où l’on met son tamis. 

POUR 1 EURO DÉPENSÉ DANS UN FORFAIT, 6 AUTRES DÉBOURSÉS DANS LA STATION

Le ski de fond, cette activité qui n’est désormais plus du tout désuète depuis un certain Martin Fourcade, est en passe de faire une saison historique, et c’est tant mieux. Mais il ne faut cependant pas s’y tromper, cette activité est pratiquée à des altitudes où l’enneigement est très aléatoire. Sur dix ans, combien de saisons ont été satisfaisantes pour glisser de décembre à mars, pour faire vivre des moniteurs, restaurateurs, dameurs et tout l’éco système qui va avec ? 

Ski de randonnée, raquettes, ski de fond profitent à plein de la fermeture des stations, c’est une très bonne chose (encore du free cirage de pompes). Mais on sait combien il est difficile de gagner sa vie en tant que professionnel lorsque l’on est accompagnateur en moyenne montagne, ou même guide. Si l’on supprime le ski mécanisé du paysage, des milliers d’emplois disparaissent. Pour un euro dépensé dans un forfait de ski, six autres euros sont déboursés dans la station, c’est une loi d’airain. Il ne faudrait donc pas trop pousser le ski à forfait dans les escaliers du CAF. Les gains avec la randonnée et la raquette sont marginaux et ne suffisent pas à fixer les jeunes et les autres dans les montagnes. 

ON RÊVE DU CHUINTEMENT DES CÂBLES DE TÉLÉCABINES SUR LES POULIES

Une récente pétition verte qui remet en question les stations de manière abrupte propose, par exemple, de valoriser l’agriculture bio, la filière bois pour compenser. Certes, après avoir passé le monitorat de ski, forgé une clientèle, acquis un savoir-faire, on a acheté quelques chèvres, une tronçonneuse (électrique), un hectare de terrain pour la culture du chanvre afin de répondre à la vision de nos territoires qu’ont certains. Comme ça, on sera raccord avec l’air du temps, quitte à vivoter ; une vie d’équilibre rythmée par les tisanes détox (bio), dans des tasses en terre cuite (pétries sous les aisselles de la potière velue du village), en partageant des biscuits apéritifs (gluten free), des brochettes de viande végétale (label vert antispécisme, le bœuf en rigole encore…), avec un café sans caféine (commerce équitable) et un dessert (sugar free) à base de racines de salsepareille (nourries aux intrants de toilette sèche). Un coup à se biodégrader le moral. On ne va pas se fatiguer à décrire le plaisir central de la glisse, le vertige du dénivelé, la finesse des appuis dans la profonde, le paysage qui défile, la vitesse, l’élévation, les équations de courbes, le jeu avec le terrain, les options gagnantes dans ce matériau vivant qu’est la neige. On revendique le droit de skier à partir des remontées mécaniques, uniquement pour le plaisir de la glisse, sans le combo (très) respectable, montée en peaux/descente. Quand on s’endort le soir, on rêve du chuintement des câbles de télécabines sur les poulies, de l’odeur épaisse de la graisse dans les gares de départ et même de la contrôleuse acariâtre des 3 Vallées. Comme on a une sacrée descente, on rêve de forfait illimité. 

Par Franck Oddoux. Illustrations Istock. Photo F.Oddoux. Merci à Christian Moretti.

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Et pendant ce temps les télésièges sont à l'arrêt…

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