21 / 01 / 2021

Sauf si Dédé, perchman de son état, dérape sur une croute de reblochon fermier (le plus gras, le plus glissant) et donne un coup de tête malencontreux sur le gros bouton rouge « ON » du téléski, on va passer l’hiver sans remontées mécaniques. C’est désormais officiel. Un sous-fifre, une drôle d’espèce malheureusement en voie de prolifération dans notre pays, un « secrétaire d’État chargé du Tourisme » l’a annoncé… par téléphone ! Le « tél », c’est d’ailleurs le seul cas où la distanciation est recommandée… pour ne pas se faire rôtir à la broche par les professionnels de la montagne façon cuissot de chevreuil. 

"OSER DÉFENDRE LE SKI ALPIN, C’EST COMME ROULER SUR UNE PISTE CYCLABLE AVEC UN GROS 4X4

Afin d’arrondir les angles de ce papier qui prend béatement fait et cause pour les stations, je tiens à me barder de précautions. Les brouettes de lettres d’insultes ça passe encore, mais chez LicenceToWrite, nous sommes en dépassement de budget « démineurs colis piégés ». Car, de nos jours, oser défendre le ski alpin, c’est comme rouler sur une piste cyclable le coude à la portière d’un gros 4X4 exhalant une fumée noire, en bousculant un landau avec des jumeaux dedans : carrément honteux, on prend direct 20 ans de goulag sans réduction de peine. Oser dire que l’on aime toutes ces choses, c’est courageux et relève du pur suicide social : le télésiège, les dameuses, les jalons, les odeurs de frites sur les pistes, le mauvais vin chaud, le planté de bâton…. C’est flirter à coup sûr avec le point Godwin. 

"ON VEUT BIEN RESPECTER LA LOI SI TOUT LE MONDE JOUE COLLECTIF"

Pas convaincu par ce préalable frileux ? On en remet une deuxième petite couche pour être totalement PC (Politiquement Correct)… Oui, les stations ne sont sans doute pas les plus vertueuses en matière d’environnement et elles doivent progresser, elles ne sont pas « indispensables » dans la vie quotidienne pour reprendre une rhétorique bassement politicienne. Au risque de choquer et d’exploser le budget déminage LTW, le ski alpin, sur la pyramide des besoins de Maslow, se situe juste au-dessus de la sous-tasse en carton et le fil dentaire silicone. On peut vivre sans. Sauf que pour nous, c’est notre job. Notre activité rapporte 10 milliards d’euros à la France de retombées touristiques, elle procure des jobs (directs) à plus de 120 000 personnes ; elle vient pourtant d’être balayée d’un revers de la main par un gouvernement et des administrations qui auraient du mal à gérer une MJC de quartier. 

"LA SAUTERIE DU LIEURON, APPELÉE « RAVE », A DURÉ 36 HEURES AVEC 2400 PARTICIPANTS"  

Car la fermeture des stations est une décision tout à fait logique quand le reste du pays est au même diapason (on ne parle même plus d’Europe avec les stations en partie ouvertes en Autriche, Espagne (1) et Suisse). On veut bien respecter la loi si tout le monde joue collectif, si les décisions servent à quelque chose de loin et à contre-jour, mais ce n’est pas le cas. La liste des scandales de la gestion de la crise Covid-19 est pourtant sans fin, dans nos stations de ski désormais fermées, on a plus que l’impression de payer pour cette incurie. 

Nos remontées mécaniques ne bougeront donc pas d’un poil… alors que pendant les fêtes de Noël, la SNCF a entassé 3,7 millions de personnes dans ses wagons à bestiaux. Les centres commerciaux débordaient de consommateurs fourmis, dans le même temps, la RATP s’illustrait par une gestion calamiteuse avec des rames farcies à la Covid-19… Mais les gaulois sont un peuple à la bonne humeur inébranlable, au plus profond d’une crise, ils sont toujours prompts à dégainer une poignée d’ecstasies et un mur d’enceintes de 10 000 watts. La petite sauterie du Lieuron (2), appelée délicatement « Rave », a duré 36 heures. 2400 participants ; on peut appeler ça un franc succès à l’heure du couvre-feu, des gestes barrières et des interdictions de rassemblement ? La faute de goût ? La maréchaussée qui voulait festoyer avec les teufeurs s’est faite injustement renverser la fourgonnette et a essuyé des jets de bouteilles. Tout homme habillé en bleu avec une casquette n’est pas forcément un préposé au tri sélectif.   

"… ET MÊME LES PARTOUZEURS DU RÉVEILLON 2021 !"

Après toutes ces dérives de comportement répertoriées dans l’hexagone, qui expliquent sans doute le rebond épidémique (il y aura toujours un spécialiste pour nous prouver le contraire), on n’en voudra donc pas aux esthètes marseillais du contact humain, très tactiles, ceux que l’on appelle désormais les partouzeurs du Réveillon 2021 (3). 27 personnes verbalisées dans le plus simple appareil (à quoi on accroche le PV dans ce cas, à défaut d’essuie-glace ?), c’est finalement peu, bien en dessous de la jauge de la connerie ambiante dans ce pays. Ils avaient pourtant bien fait les choses : un sapin, des boules, des branches et même du gel et des masques selon un agent de police. Ce dernier s'est d’ailleurs laissé aller à quelques confidences grivoises, évoquant des masques « portés sur les yeux  » et du gel qui n'était malheureusement « pas hydroalcoolique  ». Ce commentaire a bien entendu fait les gorges chaudes (hot deep throat (4) ?) de la presse. L’agent de police en question, auteur de ces bons mots, a d’ailleurs été immédiatement recruté par Rire & Chansons. 

"AUX JEUX OLYMPIQUES DU FIASCO, LA FRANCE TRUSTE LE PODIUM"

Reprenons le fil du papier. Pendant que dans la capitale phocéenne on travaillait l’art du body-body caliente, nos stations espéraient innocemment une prochaine ouverture. Notre chef suprême, Manu, et ses conseillers qui avancent masqués, nous vantaient les vertus du techno vaccin, comme des vendeurs de bagnoles. On l’a laissé parler, ça lui fait du bien à Manu. De notre côté, on prend sur soi : après les couleuvres des masques soi-disant inutiles puis parés de toutes les qualités, les couvre-feu tueurs d’apéro, les chiffres trafiqués, les doses de vaccin qui manquent à l’appel, la désorganisation totale, jusqu’à la taille des aiguilles (5) qui ne va pas… on a été très patients. Si les Jeux Olympiques du Fiasco se disputaient en 2021 (pas de chance, ceux de Tokyo ont pris le créneau cette année), la France aurait immanquablement trusté le podium. On a vécu un moment historique, les débuts tonitruants de la campagne de vaccination : 430 personnes piquées en 7 jours. À ce rythme de sénateur, l’opération pourrait durer jusqu’à ce que les archéologues découvrent un sourire de Jean-Pierre Bacri dans les archives de l’INA. 

"QUI AVALE UNE NOIX DE COCO FAIT CONFIANCE À SON ANUS"

Au sujet du risque ou non de se faire vacciner, un pote qui a participé aux épreuves olympiques de ski pour un pays africain, m’a lâché cette phrase sibylline : « Qui avale une noix de coco fait confiance à son anus ». Sur le coup, je n’ai pas bien compris le fond de sa pensée, sans doute une forme de complotisme africain épicé… Notre avis : il faut se faire piquer car le vaccin va sauver le monde, la galaxie entière jusqu’à la porte de Tannhäuser (6) et aurait pu protéger nos stations de ski. Mais le doute s’est immiscé, instillé par les complotistes qui affirment que Tom Cruise serait à l’origine de la potion ARN. Quand on repasse le film Cocktail (7) en marche arrière, on voit bien que le scientologue avait déjà la recette dans le shaker. Les russes, n’ayant pas un acteur aux dents si blanches, ont juste piraté la formule de base en ajoutant un trait de vodka de contrebande : le Spoutnik V était né. Bon, pas de chance, malgré l’efficacité décoiffante des vaccins, le timing des campagnes de vaccinations n’est pas bon, cette histoire devrait trainer au moins jusqu’à cet été, minimum. L’effet papillon a grossi jusqu’à paralyser toute notre industrie du ski. 

"ON EST EN GUERRE MAIS ON SE BAT AVEC DES COTONS TIGES"

Rétro planning sur un désastre qui était pourtant annoncé… Dès le mois d’août 2020, les allemands travaillaient (un peuple bosseur même si parfois envahissant) sur des vaccinodromes, sur le modèle éprouvé des eros-centers. Pendant qu’ils mettaient au point le mondial de la fléchette partout dans les Lande, nos responsables tricolores ont prolongé leurs vacances en Thaïlande. Retour de la dream team en tongs, en octobre, juste le temps de commander quelques doses de vaccin sur Amazon et de s’apercevoir que l’art de la logistique ne s’applique pas aux technocrates, incompétents et beaux parleurs grassement rémunérés. On est en guerre mais on se bat avec des cotons tiges scruteurs de trous de nez. Pensées particulières au personnel soignant qui est courageusement sur le front depuis plus d’un an, des personnes que l’État prend régulièrement pour des jambons cuits à l’étouffée. Du coup, pour masquer les lacunes de l’État, on interdit, on légifère, on bloque, on régule, on ventile. Un pays où il faut se battre pour aller bosser. Une contrée où l’on développe des trésors d’imagination pour saborder des activités florissantes comme l’industrie du ski. 

"ON A L’OUTRECUIDANCE DE DÉCLARER QUE LA FERMETURE DES STATIONS EST INJUSTE"

Les instances dirigeantes n’ont même pas eu la droiture de jouer franc jeu, elles ont baladé les professionnels pendant des mois dans un irrespect total, faisant miroiter une hypothétique reprise de l’activité. La parade, afin d’acheter la paix sociale en montagne, a été d’arroser d’aides tous azimuts, certains en recevant beaucoup, peu ou pas du tout (cocher la case et renvoyer le Cerfa svp). Chaque organisation professionnelle est montée au créneau pour défendre son beefsteak, de manière dispersée. Nous avons pourtant vocation à gagner nous-mêmes notre croûte au fromage. Avec 120 % du PIB de dette, 2700 milliards de créances au troisième trimestre 2020, un emprunt de 7 milliards sur 50 ans contracté ces derniers jours (8), on laisse à nos enfants un couvercle de plomb. Les montagnards vont encaisser les aides mais ils sont lucides sur la situation : c’est une catastrophe. Alors oui, on a l’outrecuidance de déclarer que la fermeture des stations est injuste, injustifiée à l’heure où le reste du pays continue à fonctionner dans l’hypocrisie et la comédie généralisée de règles sociales soi-disant protectrices. Le couperet est tombé : on peut prendre le métro mais pas un télésiège. De toute façon, la Covid-19, avec ses variants, c’est désormais United Colors of Benetton, on se fait des potes sur toute la planète. À choisir, entre le variant anglais (le cousin du Patient (9)) ou le sud-africain, on a un faible pour le brésilien, on ne sait pas pourquoi, il semble nettement plus sensuel. Le seul virus au monde en string (on dit « fio dental » à Rio) : aguicheur, bouillant, vicieux, terriblement attachant mais foudroyant comme le pic à glace planqué sous le lit par Sharon Stone dans Basic Instinct (10). L’été 2021 promet d’être très chaud. 

Par Franck Oddoux. Photo Christian Moretti.

Le couperet est tombé : on peut prendre le métro mais pas un télésiège.

Vers le haut

Haut