Cet article verse dans le plus complet respect des communautés LGBTQIA+. Pour être tout à fait raccord avec l’air du temps, on a même rajouté XY et Z pour n’oublier personne. Et 0 pour ceux qui n’ont pas du tout de sexualité afin que personne ne se sente visé pour ce manque d’appétence vitale. Nous sommes pour l’inclusion, comme le disait mon pote dans la boite de nuit de Rio, un maelstrom de perdition : le D (je sais, ce n’est pas joli-joli, pour ceux qui ont connu ce lieu de stupre moite…).
Cet article contient, en outre, des propos à caractère violent susceptibles de heurter la sensibilité du public. Certaines vannes de mauvais gout peuvent provoquer par effet stroboscopique, des épilepsies. Sortez les sacs en plastique. Comme le dit Gaspard Proust dans son avertissement en ouverture de son dernier bouquin, Mea Culpa : « c’est normal, c’est fait pour ». On a l’entière liberté de se priver d’une partie de notre public vu que nous n’en n’avons pas.
Des soutiers magnifiques !
Revenons à nos moutons. La question du jour : est-ce bien raisonnable de confier les clés des stations de skis aux saisonniers ? Ces soutiers magnifiques, longtemps méprisés, humiliés, ghethoïsés dans des mansardes insalubres sont devenus des denrées rares. Les offres d’emploi se font insistantes, voire désespérées pour dénicher la perle rare saisonnière qui voudra bien être à peine polie avec la clientèle, savoir à peine entretenir une paire de skis, ne pas oublier entre le bar et la table la commande de Perrier tranche et daigner mettre du déo sous les bras à contre cœur… Car la situation est inexplicable, comment se fait-il, qu’à peine payés au-dessus du Smic, de tels postes ne soient pas pourvus ? Pourquoi notre jeunesse qui ne cesse de se revendiquer protectrice de la planète, adepte du wellness naturel, des bougies Nature & Déconvenue, ne se précipite-t-elle pas pour bénéficier du bon air pur de nos stations ? À cause des vapeurs de fart cancérigènes dans les locaux de locations de skis ? En tout cas, même s’il reste un grand nombre de postes vacants, les rouages, la machine à cash flow, « l’or blanc » comme l’éructent les ski-bashers, et pour parler clair, le business des stations tourne grâce à eux : les saisonniers. On devrait leur élever une statue à l’entrée de chaque station, sur des parterres de flouz, plutôt que de planter des œuvres moisies comme celle de Lorenzo Quinn à Courchevel 1850.
Le billet de 500 est volatile, joueur, taquin même…
Le saisonnier est un nihiliste, il est capable d’abandonner sa Clio II sur un parking d’altitude en décembre et lancer un avis de recherche fin avril. Au mieux, il la retrouve sous un tas de neige, batterie HS, la portière violentée par une lame de chasse-neige, de l’urine de renard des neiges sur les quatre pneus dégonflés. Au pire, il doit écouter les conneries grasses de la police municipale qui a embarqué sa caisse car le parking était réquisitionné pour un marché de produits locaux (80 euros le kilos de beaufort, 75 euros la bouteille de génépi à l’alcool de pharmacie, marmottes siffleuses fabriquées en Chine, saucissons de Savoie au porc allemand, grands crus de Savoie pour décoller la tapisserie…). Le saisonnier est un contemplatif béat, il voit le pognon voleter autour de lui, s’approcher, lui faire de l’œil, et s’éloigner… Le billet de 500 est volatil, joueur, taquin. À défaut d’être convié aux soirées de l’ambassadeur (directeur d’OT, pontes qui possèdent la moitié des bouclards de la station, directeur des remontées mécaniques, politicard en vue qui vient gratter des forfaits pour sa famille et son amante, pique-assiettes en moon boots…), le saisonnier a une vie sociale intense… mais un étage dessous. Contrairement à cette vision nupéenne, ce n’est pas non plus, à franchement parler, l’enfer de Dante. Le pack de 40 bières est solidement ancré sur le rebord de fenêtre (merde la bière a gelé !) de sa cage à lapin. Tous les soirs, c’est apéro, le sky coule à flots, la téquila achetée en promo au Carrouf Market est surnommée « petit lait ». La Dolce Vita version moufles et sous-vêtements techniques. La vie en mode : on se marre, on profite, on laisse tomber la neige car demain il fera jour sur les pistes, du bouddhisme d’altitude. En saison, on fait donc le plein de globules rouges et de gamma GT. L’avantage de connaitre les autres saisonniers, de payer les tournées ? On finit par connaitre les physionomistes à l’entrée des boites, comme l’une des 3 Vallées où un simple mot de passe permet non seulement d’entrer dans le Saint des saints mais d’avoir accès à un verre où trempent des psilos : que du naturel, ramassé dans les alpages à l’automne, le cul en l’air. De la défonce bio sans chimie Breaking Bad. Un coup à voir un python albinos allongé lascivement sur le bar et des jeunes filles accortes, tarifées, partout.
Un skieur sur deux est une femme en vacances
Le saisonnier est schizophrène : il lorgne sur la partie de ski nautique à l’arrière de la galère romaine mais il doit aussi faire semblant de donner quelques coups de rames afin d’éviter les coups de fouets (sauf à la soirée avec la femme du maire gainée de cuir) et contribuer à l’avancée de l’esquif. Il est là pour gagner sa croute (rarement bio), ses boites de cassoulet, ses chips, partager les odeurs de chaussettes dans le studio aussi grand qu’un placard à balais espagnols… mais aussi et surtout pour tracer. Fatigué ou pas, défoncé ou pas, troubles gastriques ou pas sur le paillasson du voisin : demain c’est poudreuse. Car le saisonnier est à l’instar du pisteur secouriste : le seul et le vrai passionné de glisse de la station. Les autres ne sont que des comptables, des caisses enregistreuses. Le saisonnier a un style de merde mais il a la passion. Il se régale et ça se voit. Il devrait être remboursé par la sécu. Dans les cimes, il est au Nirvana, dans un état de félicité tranquille. Il s’offre des lignes, la dernière richesse quasi gratuite de ce grand souk mondialisé. Il a aussi l’assurance de pratiquer le polyamour chaque semaine, un avantage en nature dont le CNPC ne lui a pourtant jamais parlé : dans les grandes stations, tous les samedis, des milliers de touristes partent et arrivent, et comme un skieur sur deux est une femme en vacances… Il croit qu’il va conclure, et il le fait ! Le risque ? Surtout ne pas attraper un psilo vénéneux ou prendre le bourre pif d’un mari scandaleusement jaloux, car on a beau être en altitude avec un air moins dense qu’ailleurs, ça fait toujours terriblement mal. Skier avec un masque de ski et des mèches en coton dans les narines entaille irrémédiablement un style déjà louvoyant.
Le moniteur déroulait du câble avec sa femme…
Les stations n’échappent pas à la lutte des classes, le haut du panier du saisonnier c’est le moniteur de ski, conformément à la sale blague Rires & Chansons : « Quelle est la différence entre Dieu et un moniteur de ski ? Réponse : Dieu ne se prend pas pour un moniteur de ski ». Le seigneur des pistes jouit d’une aura inentamée. C’est d’ailleurs curieux, alors que le monde part en brioche, le prestige du moniteur semble, lui, inaltérable. La tenue tricolore/patriote, l’after shave, la ceinture à clous, la housse de protection sur son masque, la maitrise du feston stemmé, la maestria dans l’art complètement désuet de la descente aux flambeaux ? Il reste un grand mystère de ce monde comme le parti LR ou les derniers adhérents du PS. Ceci vaut pour avertissement : vous qui avez, en toute confiance, payé des cours de ski à votre femme, des leçons particulières qui plus est, sachez que le moniteur est généralement extrêmement dévoué à sa tâche, qu’il peut (Doit ? Doigt ?) lui faire découvrir des dimensions nouvelles, verticales et horizontales. Ainsi, un moniteur de ski de Chamrousse, dument payé par le mari, déroulait du câble avec sa femme, tous les jours pendant une semaine, il pratiquait aussi le tourniquet ghanéen, le poulpe moldave et autres finasseries sexuelles aux confins de l’exotisme érotique. Il y a un memento pour ça. Le seigneur moniteur de ski occupe même une position bien supérieure au médecin du centre médical baptisé « le plâtrier » au vu des jambes cassées rafistolées en Vicat (Lafarge, ça marche aussi). Le moniteur avec son ego gonflé perd une fois l’an tout principe de réalité : à l’occasion du challenge des moniteurs. Une belle déconnade syndicale où le rouge n’est pas que sur les tenues ; un raout dont le but nous échappe toujours. On se souvient de l’édition dans les Pyrénées où un moniteur ayant dérobé un parasol sur une terrasse, a sauté d’un télésiège en se prenant pour Mary Poppins : Lafarge ou Vicat ?
Borne, les a dépassées
Les stations sont un barnum. De loin, elles ressemblent à des entreprises. De près, ce sont des cocktails de filles et de mecs qui mettent les doigts dans la prise et filent de l’énergie au système. L’ensemble marche sur trois pattes mais le truc avance, l’inverse d’une IA en somme. Certains en fin de saison, changent le Cayenne pour une version avec quatre pots d’échappements… alors que le but du saisonnier est simplement de repartir avec plus de flesh qu’en novembre… Un équilibre improbable qui fait passer le bilboquet-les-yeux-bandés pour un jeu de réussite. Mais globalement, employeurs et travailleurs saisonniers avaient trouvé, au fil des années, un gentleman agreement : du job contre des compétences, pas de coucheries avec la femme du patron et un salaire dopé en récompense des efforts, même si les conditions de logement n’étaient pas toujours florissantes. Mais, notre Angela française, Elisabeth Borne, est venue réformer tout ça à grand coup de tatanes dans le cul. Désormais tout saisonnier, afin qu’il puisse ouvrir des droits (ARE), doit travailler à temps complet six mois, au lieu de quatre précédemment. Quel a été le résultat immédiat de cette réforme brillante ? Le niveau en surf et en kite a nettement baissé chez les saisonniers. Beaucoup moins de monde en Indonésie, à Dakhla ou Jericoacoara Brazil… Fin des caïpirinha et du thé à la menthe à gogo. Ausweiss ! Il faut désormais travailler plus, cumuler plusieurs contrats pour conserver ses droits et les mêmes revenus. Certains sont donc allés voir ailleurs, sont devenus honteusement des travailleurs annuels ou sont purement et simplement sortis du système, pour faire quoi ? Mystère complet, psssit, évanescence. Le quota d’altermondialistes est déjà bien full dans certaines régions de France, à l’exemple du Pays de la Clairette. On pourrait penser que la fête est finie. « Großer Fehler »(1) comme disent les potes du chancelier. S’il y a des trous dans la raquette (scheiss, on se met à parler comme Lemaire), la plupart des postes ont été pourvus, parfois en last minute, mais la saison a pu se dérouler (avec un peu de câble parfois). Sans doute parce que les stations sont des lieux spéciaux dotés d’un supplément d’âme, le pouvoir d’attraction joue toujours. On y vient pour trimer ou faire simplement son job, s’amuser, rencontrer, glisser, participer d’une histoire commune. On le doit à vous saisonniers. On vous aime. Voilà, c’est dit.
Par Franck Oddoux