15 / 11 / 2020

Les fakirs de la course à pied !

Du 6 au 8 novembre 2020 s’est déroulée une course, chose déjà incroyable en soi en cette période que les historiens nommeront dans 100 ans « l’année blanche du running », et rendue encore plus incroyable par la nature même de cette course : un 48 heures couru sur tapis roulant. Tut tut tut, non, cher amateur de bouffées d’oxygène non frelaté, d’arêtes effilées comme les carres de tes derniers skis Zai for Bentley1, de sommets vierges comme – heu non, laisse tomber cette image –, ne clique pas sur la croix en haut à droite de cette page, reste encore un peu, tu vas voir, tu vas te marrer. On est quand même en train de parler de gars qui ont passé 48 heures à courir sur un tapis roulant de leur propre chef, sans qu’on les y oblige. Ça a un petit air de La Boétie2 non ?

Par Emmanuel Lamarle.

 

Donc je répète pour ceux dont les yeux saignent encore : il va s’agir ici d’un 48 heures de course à pied sur tapis roulant. Ça s’est passé en Pologne, dans la charmante bourgade de Zabrze (en vrai c’est assez sordide comme coin), dans une salle de sport3. Seize tapis de course (plus trois de secours) étaient alignés avec posés dessus le même nombre de coureurs et coureuses (on a beau vanter la supériorité intellectuelle des femmes sur les hommes, elles restent suffisamment bas de plafond pour quand même participer à ce genre de truc débile). Le vendredi à midi, top départ : les coureurs se mettent en branle, la course se déroulant jusqu’au dimanche midi, le vainqueur étant celui ayant aligné le plus de bornes durant ce laps de temps de 48 heures. Limpide, non ? Quoi ? Pardon ? Ah oui, ça ressemble à de la torture… Eh bien tu sais quoi ? Tu as mille fois raison. Retour 200 ans en arrière, en 1818 exactement4

 

Le tapis roulant fait de la taule

William Cubit5 est un ingénieur britannique qui a inventé un tas de choses, mais pas le cubitainer, honte à lui – « Roger, tu me mettras deux cubis de rouge steup ? » Entre autres découvertes, il a imaginé et mis au point un système de tapis à marches – une espèce d’hybride entre un tapis roulant et un stepper – permettant à un humain de moudre du maïs ou de pomper de l’eau en marchant6. Attention hein, il n’a pas inventé ce système qui existe depuis à vue de nez le 1er siècle de notre ère. Il l‘a juste modernisé et adapté au monde… carcéral. Eh oui, des prisonniers qui ne savent pas trop quoi faire de leur journée vu qu’ils n’ont ni TF1 ni Candy Crush Saga, c’est de la main d’œuvre gratuite, faut pas se gêner, ils n’avaient qu’à pas les voler ces pommes, hé ho.

Une centaine de prisons équipées de tapis roulants au milieu du XIXesiècle

Sauf qu’en plus de cette utilisation gratuite de main d’œuvre, les prisons ont trouvé que ce serait une bonne idée d’y associer un moyen de coercition et de « réinsertion ». Sous-nourri et obligé de marcher 10 heures par jour sur une espèce de roue à hamster, tu avais un peu moins envie de faire le mariole. Bon on est d’accord, les effets à long terme, une fois sorti de la geôle, ne sont pas garantis. Mais qui a dit que les gars ressortaient ? Toujours est-il que ça a marché du tonnerre, et qu’une centaine de prisons étaient équipées de tapis roulants au milieu du XIXe siècle. Voilà, on est dans l’ambiance.

 

35 000 engins de torture vendus chaque année

Tiens en passant, la demi-minute culture : en anglais, tapis roulant se dit « treadmill », soit littéralement « moulin à bande de roulement ». Merci qui ? Les engins se perfectionnent dans les décennies suivantes, améliorant le rendement des moulins et pompes. Mais côté prisonniers, on ne peut pas dire que grand-chose s’améliore, en tous cas pas la mortalité sur les tapis… Finalement cette forme de répression est abandonnée au début du XXe siècle, mais on continue à utiliser le tapis roulant dans les fermes et les moulins. En ces lieux, ce ne sont pas des humains qui actionnent le mécanisme, mais des animaux, en marchant sur un plancher en bois articulé.

Plus de 60 millions de personnes possèdent un tapis roulant chez elles

Dans les années 20 et 30, le tapis roulant entre dans les maisons bourgeoises ; il est coûteux, rare, et est utilisé pour frimer. En 1952 est inventé le premier tapis roulant à usage médical : les patients évoluent sur sa surface pendant que des outils mesurent leur santé cardio-vasculaire. Et c’est en 1968 que le premier tapis roulant à vocation sportive voit le jour. Créé par William Staub sous l’inspiration du livre Aerobics de Kenneth Cooper7, le Pace Master 600 est le premier véritable tapis roulant commercialisé dans le monde8. Dans le milieu des années 90, ce sont 35000 tapis de course qui se vendent dans le monde chaque année9, et aujourd’hui, plus de 60 millions de personnes possèdent un tapis roulant chez elles10. Sans compter les salles de sport…

 

On déroule le tapis

Et justement, retournons-y, dans notre salle de sport polonaise : nos 16 hamsters qui ont la chance (sic) de participer à cette épreuve de 48 heures sur tapis se tirent la bourre. Des courses comme ça, autant dire qu’il n’y en a pas des masses – peut-être qu’il s’en est déroulé une centaine jusqu’à présent. Il y a davantage de shows organisés pour la promotion d’une marque, d’une salle de sport, ou dans le cadre d’un événement sportif. Exemple au Chicago Marathon Expo en 2018, où une animation permettait au premier quidam venu d’essayer de suivre le rythme d’Eliud Kipchoge sur marathon sur seulement 200 mètres11 (vas voir la vidéo, tu rigoleras deux minutes). On se rend vite compte que 20,81 km/h, ce n’est pas si facile à tenir même sur un demi-tour de piste. Et puis l’autre type d’événement autour du tapis, ce sont bien sûr les tentatives de record. Elles sont légion, sur toutes les distances et durées imaginables.

On se rend vite compte que 20,81 km/h, ce n’est pas si facile à tenir

Exemples variés : 2:17:56 sur marathon (Tyler Andrews, USA, 2020), 6:40:35 sur 100 km13 (Phil Anthony, GBR, 2014), 265,20 km sur 24 heures (Vito Intini, ITA, 2019) ou encore 822,31 km sur 6 jours (Pierre-Michael Micaletti, FRA, 2012). Et bien entendu, pour que record il y ait, quelques règles doivent être respectées12 – par exemple pas de pente descendante, ne pas se tenir aux barres latérales, calibrer le tapis… Mais on est bien d’accord que les conditions ne sont jamais vraiment les mêmes (température de la salle, ventilation, nature de la bande de roulement, précision du calibrage, etc.). Ceci dit, on observe rarement les mêmes conditions sur deux marathons ou sur deux pistes d’athlétisme, non ?

 

Une foulée spécifique voire spéciale…

Concernant la course que nous suivons en Pologne, un 48 heures sur tapis roulant donc, le record mondial est à 405,22 km (Tony Mangan, IRL, 2008). Plus de 400 bornes sur 48 heures, ce n’est pas donné à tout le monde, c’est déjà du bon gros niveau. Le record du monde toutes surfaces confondues sur cette durée est de 473,979 km (Yiannis Kouros, AUS, 1996). Et d’emblée, la question que l’on peut se poser, c’est « Que vaut un record sur tapis par rapport à la vraie vie, à savoir la piste ou la route ? » Bah oui, qui a déjà couru sur un tapis roulant connait cette sensation étrange de courir sur place, en bondissant non pas en avant, mais à la verticale. Il ne faut pas se propulser, mais « juste » sauter. Et cette différence en entraîne une autre, non négligeable : l’absence de résistance de l’air, et donc une dépense d’énergie moindre. Les entraîneurs conseillent d’ailleurs d’incliner le tapis de 1% pour compenser cette différence. Le tapis est également moins traumatisant que le bitume ou encore pire le béton : tu risques moins de tendinopathies lors d’un effort long.

Un tapis peut tomber en panne, toi non

Il est aussi plus amortissant qu’un sol dur habituel. Et bien évidemment, courir à l’intérieur te protège de toutes les intempéries, à commencer par un vent de face, un sol glissant, etc. La cerise sur le gâteau : pour les entraînements, il est parfait, notamment pour des séances à allure spécifique ou des séances de fractionné, qui vont être bien plus précises qu’à l’extérieur. Les inconvénients maintenant : pour qui n’est pas entraîné à courir sur tapis, il faut un temps d’adaptation (position, boutons, risques d’éjection…), et il faut modifier sa foulée – d’ailleurs, sur des séances dures ou longues, tu risques de ressentir des courbatures inédites par rapport à tes sorties habituelles. Selon les tapis, il y a également des contraintes techniques (un reset toutes les 60 ou 90 minutes par exemple), et bien entendu un tapis peut tomber en panne, toi non – enfin si, mais on ne traitera pas ici des problèmes érectiles. Donc grosso modo, tout le monde s’accorde à dire que courir sur tapis, c’est un peu plus facile que courir dehors pour de vrai. D’ailleurs le maître de l’ultra-endurance, Yiannis Kouros, détenteur de tous les records de 12 heures à 6 jours, considère que le tapis, ce n’est pas de la course à pied. C’est tricher.

 

La bière et Netflix toujours à portée de main

Pourtant ils courent en Pologne, et à leur tête un certain Christian Mauduit, dont nous avons déjà parlé ici-même14. Christian a goûté pour la première fois aux courses sur tapis roulant en 2011, et c’était déjà un 48 heures : « J’aime la nouveauté, la diversité. C’est pour cela que j’ai touché au triathlon, que j’ai essayé les brevets cyclotouristes, et tout simplement, c’est cette curiosité qui m’a, au départ, poussé vers l’ultra. Le tapis était nouveau, il était donc intéressant à mes yeux. » À l’époque, l’Argenteuillais n’y connait rien en tapis, il s’y essaie donc en salle de sport : « J’ai validé que je pouvais faire 6 heures avec le boucan des autres tapis (une douzaine de tapis, tous en marche aux heures de pointe…) sans casque audio sur les oreilles, sans personne pour me motiver, avec un sale tapis qui se remet à zéro toutes les 30 minutes. »

L’impression d’être des crapauds, que nos jambes s’étaient raccourcies, durcies

Le bonheur à l’état pur, non ? Le jour de l’épreuve, les sensations sont étranges, mais ça passe : « C’est mou mais on ne s’enfonce pas comme dans du sable. Du coup on perd très peu en rendement et en revanche on gagne en amorti. Quand on descendait du tapis – d’autres coureurs ont eu la même impression – on avait l’impression d’être des crapauds, que le sol était dur, que nos jambes s’étaient raccourcies, durcies. Hormis le fait que le tapis, mécaniquement, impose un rythme et que ça peut déstabiliser certains coureurs, je trouve que cette surface est plutôt facile, je trouve que les kilomètres tapis se payent moins cher que les autres kilomètres : il aide à se motiver, il vous botte le cul. Il envoie 8,5 km/h, et on ne peut pas se défiler. C’est pas très agréable, mais on avance bien. Et puis on a tout sous la main, je trouve ça facile. » Eh oui : le ravitaillement est toujours autour de toi, tu peux y accéder quand tu veux, et même manger tout en marchant sur ton tapis. Son mot de la fin sur cet essai en 2011 : « C’était génial. J’ai adoré. Très motivant. Alors oui, je pense que ce genre d’épreuve a un avenir : je me suis beaucoup amusé, et j’aimerais que d’autres en profitent autant que moi. » Ah les ravages du LSD… En tous cas son score à la fin de cette petite sauterie laisse rêveur : victoire avec 395,10 km.

 

Le tapis domine

Si Christian a une approche très pragmatique du tapis, d’autres, comme Philippe Billard, le premier avec Pierre-Michal Micaletti à s’être essayé aux 6 jours sur tapis roulant en 2011, sont peut-être un peu plus perchés. « On se sent un peu comme des alpinistes, on a ce sentiment très étrange et agréable d’ouvrir une voie. L’idée, c’est de transformer le tapis en nouveau terrain de jeu, au même titre que la route, la piste ou les chemins. » Et après tout, pourquoi pas ? La réglementation de la World Athletics (anciennement IAAF15) distingue la piste de la route, le tapis n’étant pas reconnu et les sentiers étant classés à part (pas d’épreuves calibrées sur sentiers comme un 10 km). Alors partir à l’assaut d’un nouveau terrain, un peu comme on pourra tenter dans 20 ans le record du marathon sur la lune, c’est légitime. Enfin, en tous cas, pourquoi pas ? Et Philippe d’ajouter : « L’ultra16, c’est avant tout de la course à pied.

Le tapis, une bonne manière de se confronter rapidement à ses conflits intérieurs

Quelle que soit la distance, la durée, la surface, le paysage, on se retrouve toujours face à soi-même à un moment ou à un autre. » C’est tout à fait vrai, et on peut même extrapoler cette sensation à l’ensemble des activités outdoor, ou même sportives : que l’on soit cycliste, triathlète, alpiniste, navigateur ou spéléologue, quand on aime pousser le bouchon un peu loin, c’est peut-être un peu pour se mesurer à une nature indomptable, mais c’est aussi et surtout pour se mesurer à soi-même, à cette petite voix intérieure qui nous pousse à rentrer bien au chaud chez nous (ou au frais, selon la saison et l’activité), sous la couette, et à nous pelotonner sans plus penser à rien. Alors le tapis roulant, même si ce n’est pas très sexy, et qu’il y a sans doute mieux pour lever en soirée – « chérie, tu sais que j’ai déjà couru 400 bornes sur tapis ? » –, c’est quand même une bonne manière de se confronter rapidement à ses conflits intérieurs. « Le tapis, c’est le boss, c’est lui qui décide. Il impose son rythme. Par contre si tu sais jouer avec lui, il n’est plus le boss, mais il bosse pour toi. Tu n’as plus qu’à suivre… »

 

 

6 jours sur un tapis !

Montons encore d’un cran dans l’envolée lyrique à base de bande de roulement caoutchouteuse avec Pierre-Michael Micaletti, détenteur du record sur 6 jours tapis (822,31 km). Avec Philippe, il a été le premier à s’essayer à cette durée sur l’ex-engin de torture. Et pour lui, ce n’était pas vraiment gagné17 : à 16 ans, il est victime d’un grave accident de la route. Fauteuil roulant, trois ans de béquilles, dix ans d’inactivité sportive : ce n’est pas vraiment le meilleur départ dans la vie pour un futur champion. Mais le gars en a dans la caboche, ce n’est pas pour rien qu’on le surnomme « le bourricot corse ». Il se refait la cerise malgré les pronostics des toubibs, et commence à participer à des épreuves de course à pied, version ultra bien sûr, parce que quand on a connu l’ultra-déchéance physique, autant verser directement dans ce qui se fait de plus dur, ou tout du moins de plus long.

6 jours sur tapis, c’est le rêve dans le rêve, comme dans le film Inception

Car c’est là que Pierre-Michael trouve son pied – plus c’est long plus c’est bon. Il découvre le 6 jours en 2006, et décide que ce truc de barges, c’est son truc à lui : « Quand en 2006 Gérard Cain proposa son premier six jours d’Antibes, je compris dès le départ que plus jamais je ne pourrais courir autre chose. Je venais de toucher à ma quête de l’endurance extrême. Révélation ! » Le 6 jours, pour lui, c’est un peu comme « une apnée mentale, en prise uniquement avec moi-même, à l’instar des collègues apnéistes qui retiennent leur souffle dans l’élément liquide. » Alors forcément, la dimension tapis par-dessus, ça ne fait qu’ajouter du sel au plat déjà bien relevé (qui a dit indigeste ?) pour le commun des mortels : « Un 6 jours sur tapis, c’est le rêve dans le rêve, comme dans le film Inception18. C’est un véritable défi humain tourné vers l’exploration des limites de notre mental, à courir pour ne pas avancer d’un mètre. Quel paradoxe et en même temps quel geste plus absolu, plus pur, pouvait-on imaginer ? »

 

Geste répété à l’infini

La pureté, c’est ce qui est propre, sans tache, sans souillure, sans mélange. Et même si ça fait mal, oui, d’une certaine manière, on peut dire que courir sur un tapis roulant est sans doute ce qui se rapproche le plus de la pureté en termes de course à pied. Alors attention, on ne parle pas de la communion avec la nature, de l’absence de nuisances sonores, de ligne d’horizon et de soleil couchant. Non, on parle de foulée pure. Pas de caillasses, de bosses, de virages. Rien ne vient souiller le geste, il est propre, inaltéré, il peut se répéter à l’infini. Et qui dit répétition à l’infini (j’espère qu’il n’y a pas de profs de maths dans la salle ?) dit… ennui.

il y avait certainement de quoi se forger un mental d’acier. J’allais devenir un dur-à-cuire

Philippe le concède : « Quand je fais une séance sur tapis, ça me paraît plus long. C’est plus lancinant, je m’ennuie, j’ai des décrochages. » Martin Fryer, coureur d’ultra sur route et surtout sur piste, s’est lui aussi essayé au tapis roulant, sur 24 heures, en 2008, dans le cadre d’un événement organisé par une marque. « Après de nombreuses questions et deux ou trois verres de Shiraz, j’ai décidé de me lancer dans l’aventure. J’ai tenté de me persuader que c’était une progression naturelle des épreuves de 24 et 48 heures que j’avais faites sur piste de 400 m ces dernières années. Ces courses m’avaient limité à une piste, celle-ci me piègerait dans la claustrophobie d’un intérieur de magasin vitré, exposé au public et aux caméras, sur un tapis, pour 24 heures : il y avait certainement de quoi se forger un mental d’acier. J’allais devenir un dur-à-cuire. »

 

Le tapis pour faire le mur

On en revient au fondement de ces épreuves démesurées : se confronter à soi-même. Et quoi de mieux pour faire abstraction de l’environnement, des autres, qu’un tapis de course, ilot de solitude au milieu de la foule ? « Vus du magasin, les passants me faisaient penser au film de H. G. Wells, The Time Machine. C’était comme des photographies en accéléré, dans lesquelles le jour change d’humeur selon les subtils changements de lumière et d’ombres dehors, selon le flot des passants et leurs réactions. » Martin est observé, raillé, interrogé, entouré, mais il est seul, seul avec lui-même et avec son effort. « J’étais plus introverti et j’ai atteint ce point que tous les coureurs d’ultra connaissent, où la survie ne dépend plus que d’une concentration extrême sur le rythme de la foulée, de la respiration, comme la seule échappatoire aux difficultés. » Concentration extrême sur sa propre respiration, est-ce une forme d’hypnose, ou mieux, de méditation ?

Le tapis force à explorer des parties de vous-même au-delà du raisonnable et change votre perception du monde

Le tapis roulant est-il une espèce de facilitateur, remplace-t-il avantageusement un bâtonnet d’encens, une musique planante et un coussin confortable ? « Ces quelques mots ne suffisent pas pour se rendre compte de combien un tel événement vous martyrise, vous force à explorer des parties de vous-même au-delà du raisonnable et change votre perception du monde. Peut-être que l’effet d’un 24 heures sur tapis relève du même domaine que ce que narre Aldous Huxley dans Les Portes de la perception, dans lequel il expérimente scientifiquement les effets de la mescaline : ‘Mais l’homme qui revient après avoir franchi la Porte dans le Mur ne sera jamais tout à fait le même que l’homme qui y est entré. Il sera plus sage, mais moins prétentieusement sûr ; plus heureux mais moins satisfait de lui ; plus humble en reconnaissant son ignorance, et pourtant mieux équipé pour comprendre les rapports entre les mots et les choses, entre le raisonnement systématique et le Mystère insondable dont il essaie, à jamais et en vain, d’avoir la compréhension.’ Amen.

 

Mi-homme, mi-tapis

Reprenons la porte de la perception dans l’autre sens pour revenir dans le monde physique, celui où Christian Mauduit et ses 15 amis immobiles cavalent sur place dans une salle de sport polonaise au rythme d’une mauvaise techno (pléonasme). L’épreuve est en passe de se terminer, tout le monde est rincé, les tapis aussi, et l’heure des comptes approche. Christian, vainqueur, s’en tire avec 366 km. « À la fin des 48 heures on arrête de courir, on a mal partout mais on est content. » Eh oui, ils sont contents ces coureurs de tapis, car ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient – s’oublier dans l’effort comme d’autres s’oublient dans une rave party, apprendre à comprendre son corps et son fonctionnement, expérimenter un truc complètement barré, essayer en toute sécurité à pousser son esprit dans ses retranchements, etc.

Nous ne combattons pas le tapis, nous faisons corps avec lui. C’est une sorte d’organisme vivant

Toutes les raisons sont bonnes pour tricoter des guiboles dans la semoule. Toutes ? Toutes. Et parfois même, dans la moiteur de la salle, l’esprit échauffé par tant de kilomètres, les narines saturées de l’odeur âcre de la sueur, la peau parsemée de gouttelettes de transpiration, la respiration hachée, ton regard sur la machine avec laquelle tu joues depuis des heures change : « Nous ne sommes pas hors du tapis, nous ne le combattons pas, nous faisons corps avec lui. C’est une sorte d’organisme vivant. Notre mouvement doit s’adapter au sien, et ses engrenages doivent s’harmoniser avec nos foulées. Si nous ne vibrons pas à l’unisson, l’un des deux va lâcher. » Belle symbiose, presque un discours amoureux que l’on doit à Pierre-Michael Micaletti.

 

Alors toi, amoureux des grands espaces resté par je ne sais quel miracle jusqu’à cette conclusion, j’espère que tu ne regarderas plus ce vulgaire assemblage de caoutchouc, métal et plastique de la même manière, et que tu franchiras, un jour, le seuil honni. Peut-être découvriras-tu une nouvelle expérience, différente de ce que tu connais, mais intéressante, elle aussi. Et sinon, rendez-vous là où il n’y a pas de rallonge électrique19 !


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