05 / 09 / 2022

L’HEURE DES GENTLEMEN

On mijotait un papier sur le localisme dans nos sports, ce cancer crétin qui frappe certains glisseurs que l’on rencontre en surf, windsurf, kite, ski freeride, skate… Est apparu soudainement ce court papier de Vincent Chrétien qui résume idéalement ce que l’on tentait d’exprimer sur cette bêtise humaine.  Car Vincent sait de quoi il parle, journaliste « historique » de windsurf, observateur sensible, pratiquant, il a passé plus de temps les orteils dans le sable qu’au burlingue. On vous livre "l’heure des gentlemen" car nous sommes tous frères d’eau… 

Par Vincent Chrétien. Photo : Gerry Lopez.

 

 

Je le savais depuis longtemps. Qu’il y avait une ambiance de merde sur les spots de surf.

Laissez-moi vous raconter une anecdote personnelle afin d’illustrer mon propos. C’était en 1993. Une fin octobre-début novembre. Je « couvrais » pour Planchemag la finale de la Coupe du monde, l’Aloha Classic, où figurait encore au programme les trois disciplines, race, slalom et vagues.

Une claque, une torgnole, lorsque tu débarques à la Mecque…

Je m’étais acheté la veille un mini Malibu, un 8.3., chez Second Wind signé Bruce Jones, blanc, mauve et bleue avec, en prime, pour déco une superbe dorade coryphène. Bref, un jour sans vent, où tout le « Worldwide Windsurfing Circus » rongeait son pied de mât sur la butte d’Hookipa, je m’étais décidé à me mettre à l’eau à Pavillon, le spot de surf flanqué au vent d’Hookipa. J’aurais dû m’en douter pourtant : c’était écrit noir sur blanc sur la route, en lettres majuscules, un peu comme les inscriptions pour encourager les Thibault Pinot et autres Romain Bardet lors du Tour de France, mais en moins sympa, moins avenant, plus vindicatif et agressif : une claque, une torgnole, lorsque tu débarques à la Mecque, au paradis, ingénu et fervent ; croyant : EUROS GO HOME !…Et, effectivement : j’ai dû rester, quoi, dans l’eau ? : un quart d’heure, vingt minutes tout au plus ; « ils » ont vite repéré le loustic ! Ça vocalisait sec : des cris de mouettes, d’oiseaux de mer rendus fous furieux par la faim : FUCK YOU…GO HOME et autres joyeusetés. C’est vrai que j’avais un petit niveau…

L’époque du surf hippie et de la défonce a cédé la place à quelque chose d’un poil plus méchant

Cet été, à l’heure de la sieste, alors qu’aux heures chaudes, j’étais en plein « plan écroule », entre deux apéros et deux sessions de paddle sur la rivière : je bouquinais un roman, un polar, que m’avait refilé une amie, et que, dans un premier temps, j’avais snobé dans les grandes largeurs ; le roman… pas la copine. En quatrième de couverture, ça disait comme ça : « Relax, ultra-cool, niveau de stress minimum : Boone Daniels, ex-flic reconverti en détective privé, commence chaque journée sur les vagues avec ses amis de la Patrouille de l’aube. Quand l’icône de la communauté surf locale est tuée à la sortie d’un bar, le petit monde de Pacific Beach est secoué… (…) »

On ne devrait jamais snober les bouquins offerts par des ami(e). Jamais.

L’histoire, d’abord ; l’envie immédiate de lire la trilogie – j’ai acheté depuis les deux autres opus – ; et puis des phrases comme : « Quand Laird, Kalama et le reste de la Strapped Crew entreprirent de tâter les grosses vagues en surf tracté, ils allèrent trouver K2 pour lui demander des conseils sur la manière de façonner leurs planches. Kelly les aida avec enthousiasme mais n’affronta pas en personne les vagues de vingt mètres. Il avait atteint la quarantaine et savait que ce jeu-là était réservé aux jeunes gens. Il était trop cool pour se cramponner désespérément à sa jeunesse perdue. Il n’avait plus rien à prouver. » (…) « L’horrible, pénible vérité, c’est que la violence, depuis quelque temps – en fait depuis le milieu des années 80, quand l’époque du surf hippie et de la défonce a cédé la place à quelque chose d’un poil plus méchant -, s’est infiltré dans la communauté du surf. Au fil des années la coke s’est substituée à l’herbe, le crack à la coke, le speed au crack et la méth au speed. Et la méth est une putain de came violente. L’autre facteur est la surpopulation : trop de gens voulant leur place dans la vague et pas assez de vagues pour les accueillir tous ; trop de voitures cherchant à se garer et pas assez de créneaux libres. Un néologisme est apparu dans le lexique du surf. Le localisme. Facile à comprendre…

Trop de gens veulent leur place dans la vague

Les surfeurs qui vivaient à proximité d’un certain break et y surfaient depuis leur naissance voulaient défendre leur pré carré contre les nouveaux venus qui menaçaient d’envahir un spot qu’ils regardaient comme le leur et les en expulser… mais ça n’en reste pas moins une horreur. » (…) « Tous reconnaissent nourrir des sentiments mitigés à propos des touristes surfant sur des planches de location, et plus particulièrement sur des longboards en polystyrène. D’un côté, ils sont franchement casse-couilles et foutent le souk dans l’eau avec leurs ineptes wipeouts, leur ignorance et leur absence totale de courtoisie du surf. De l’autre, ils restent une interminable source de rigolade, d’amusements et d’emplois, dans la mesure où celui de Hang consiste à leur louer lesdites planches et celui de Dave à les arracher à la flotte quand ils essayent de s’y noyer. »

Sa gueule me disait bien quelque chose : c’était Gerry Lopez !

Permettez-moi de vous raconter ici une dernière anecdote : c’était à la fin des années 90, début des années 2000, à la pointe de la Torche. Après un premier échec, les organisateurs, sans plus de succès bicause un vent asthmatique, avaient tenté de faire revivre le mythe de 86, épreuve restée dans toutes mémoires : une houle résiduelle d’un mètre, un mètre cinquante, agitait le spot. Comme je surfais mon mini-Malibu, au peak, « un étranger » me laissa la place libre sur la vague, en m’encourageant d’un « go… go… go… for you that one !… »

Sa gueule me disait bien quelque chose, c’était évident. Il ne me fallut qu’une micro-vague pour percuter : c’était Gerry Lopez, le surfeur de légende ; Gerry Lopez, le surfeur de légende, « an absolute surf hero », venait de me céder !… Putain, la classe le mec… Gerry Lopez dont s’est très largement inspiré Dan Winslow – ça transpire entre toutes les lignes – pour « dresser » le portrait de K2, l’un des protagonistes majeurs de son roman « L’heure des gentlemen. » Tous, évidemment, n’ont pas la moitié du dixième de cette classe ; tous les petits-shérifs-de-la-baille, tous les pisse-froids et les songe -creux qui, à terre ou, pire, sur l’eau, se prennent pour des autres, comme on dit, devraient s’inspirer de… Bref, j’arrête là ; pas envie de faire mon curé… Gerry Lopez avait été invité à la Torche par OXbow qui le sponsorisait alors…

Le surf est celui de « nos sports » où l’ambiance est la plus merdique

J’en arrive à mon propos, à ma conclusion : aujourd’hui – nous l’avons déjà écrit ailleurs -, entre le surf, le windsurf, le kite, le paddle et le wingfoil, notre petite tribu est devenue plurielle. Et alors que le surf continue de véhiculer un imaginaire à la coule dans l’imaginaire collectif et les mass-médias – et ce pour X raisons que nous ne développerons pas ici faute de place -, c’est très certainement celui de « nos sports » où l’ambiance est effectivement la plus merdique. Et le windsurf, à rebours – avec le paddle -, où l’ambiance est la plus cool. Le kite passe encore, mais 80 % des pratiquants « consomment » les spots plus qu’ils n’en jouissent véritablement, et ne disposent pas de notre épaisseur culturelle : le surf à voile, le windsurf, ont une histoire, ont aujourd’hui 50 ans, un demi-siècle d’histoire, derrière eux. Et, très globalement, règne sur nos spots un franc esprit de camaraderie – même sur les spots de vagues les plus fréquentés où une sélection naturelle s’opère en fonction des conditions. ; un franc esprit de camaraderie, donc, règne sur les parkings, et le plus souvent sur l’eau. Nous sommes frères d’eau ; oui, c’est cela, un franc esprit de camaraderie doublé d’un véritable respect intergénérationnel.

Quelque chose comme une véritable fraternité.

 

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