18 / 09 / 2022

UTMB FAÇON GONZO

Texte et photos : Fernando Ferreira.

 

 

Chapitre 1

Mercredi, 4h30, « J’ai peur la nuit dans les tunnels ».

Quelque part entre Chamonix et Courmayeur, on file à 60 km/heure sous quelques milliards de tonnes de rocher, de glace, et autant d’étoiles suspendues dans le ciel sans nuage de cette fin août. C’est mon premier UTMB, mon premier Trail tout court (même si ultra long !). Et me voilà depuis trois jours au cœur du plus grand, du plus célèbre Ultra-Trail de la planète Run. L’aventure a commencé sur les chapeaux de roues ; “Longtemps, je me suis couché de bonne heure“, mais à force de me lever tard j’ai raté le train lundi matin, et le départ de Léon parti faire une Petite Trotte de 300 bornes sous une pluie battante. Tant pis, je les aurai à l’arrivée ! Il va bien y avoir au moins une équipe à l’arrivée ? Un doute m’envahit …

Flash-back, le « We could be heros» de David fait vibrer mon téléphone. Le rédac-chef :

  • Tu me ferais un papier, texte et photos, sur l’UTMB à Cham fin août ? Genre décalé, un autre regard, à la Gonzo, l’angle de vue d’un novice, d’un Candide ?
  • Ouais, ça m’intéresse, top bien ! Je vais revoir Cham, combien ça paye ? On fait comment pour les frais, le dodo, la bouffe ?
  • Super ! On se retrouve à Cham et on improvise !

Clic ! Bip, bip, bip !

  • Ok patron !

Fin du tunnel, arrivée dans un Courmayeur encore endormi dans la nuit, pour le départ des 119 km de la TDS. Oui la TDS, pas l’UTMB ! Car en fait UTMB est le nom générique de la manifestation et de l’épreuve reine qui part, elle, le vendredi. Avant il y a trois autres courses, la TDS  au départ de Courmayeur, l’OCC d’Orcières en Suisse, la CCC de Courmayeur à nouveau, la YCC pour les jeunes, et en “tâche de fond“ sur toute la semaine la PTL, la Petite Trotte à Léon et ses potes. Toutes ces initiales… Manque plus que la DEA, et avec toutes les barres de pâte d’amande que je planque dans mon sac pour booster mes coups de pompes, je vais en prendre pour 20 ans aux Baumettes.

Chambre d’hôtel du patron : un placard à 180 € la nuit

Sur la ligne de départ, on s’amasse dans la nuit, sous l’œil d’un Mont-blanc qui commence à s’illuminer dans le petit jour. Putain, j’ai sommeil ! J’ai dormi sur la moquette dans la chambre d’hôtel du patron : un placard à 180 € la nuit. Je suis cassé en deux ! Le patron, lui, se balade en short de surf à 5h30 du mat avec son appareil photo en bandoulière, décontracté du zoom, à la fraîche, au milieu de la foule de coureurs de plus en plus nombreux. Et avec tout ça, on n’a même pas eu le temps de prendre un petit déjeuner. J’ai les crocs ! L’odeur de café qui flotte dans les petites rues titille ma sensibilité addictive : je tuerais pour un expresso ! D’un coup, dans les haut-parleurs, de la musique ! Au début calme, puis sans prévenir, résonne le métal hurlant d’AC/DC  « Highway to Hell », promesse faite aux traileurs qui commencent à trépigner sur la ligne de départ. La playlist enchaîne avec Survivor et son « Eyes of the Tiger », la promesse se confirme : vous allez en baver les gars ! Mais trop tard, vous avez signé… Mais pourrez-vous peut-être, si les Dieux sont cléments (voir règlement Divin sur Hollytrails.god) entrer au Panthéon de ceux qui ont le tee-shirt finisher !  Mille deux cents héros potentiels se tassent petit à petit derrière la mince frontière faite d’une bande de plastique.

Altruisme et dévotion d’un paquet de désintéressés passionnés

L’ambiance monte d’un cran, j’avale une barre de pâte d’amande entre deux photos, et si je ne bois pas un café dans le quart d’heure, je flingue le premier qui me cause ! Le speaker fait monter la pression, il parle de joie, d’amitié, de partage, de la joie de vivre ensemble, de respect des uns envers les autres, de respect de la montagne, de tolérance, le tout dans un français patiné d’un accent italien qui sent bon le cappuccino… Il remercie et fait applaudir les 2000 bénévoles sans qui rien ne serait possible ! 2000 bénévoles ? Paradoxes ! Altruisme et dévotion d’un paquet de désintéressés passionnés, qui permettent ainsi de dégager des bénéfices pour les… bénéficiaires : privatisation des bénéfices, mutualisation des coûts, dixit un Loup de Wall Street. Je dis ça parce que je suis de mauvaise humeur, ça ira mieux après le café ! Aucune organisation n’a les moyens de payer 2000 bénévoles, donc pas d’évènements, pas de joie de vivre ensemble, rien… Et là, on perdrait en joie de vivre tout court ! Merci les bénévoles, vous êtes la source du fleuve dans son ultra course vers l’océan !

Un hélicoptère survole le départ. Il est presque 6 heures du mat, on se croirait sur la DZ de M.A.S.H. ! On s’agite dans tous les sens, sauf derrière la ligne de départ. Là, le calme règne, le sourire est roi, et la concentration sa maîtresse cachée. Dernières recommandations, et le DJ balance à fond « Pirates des Caraïbes » dans le petit matin ! WTF ? Johnny Depp est là ? Il court la TDS sabre au vent ? Non, juste l’hymne du départ, le signal du compte à rebours. La tension est à son comble, j’en ai la chair de poule ! Devant les ultra-traileurs, plus de 100 km de montagne en embuscade ; derrière eux des milliers de kilomètres d’entraînement, de discipline, des tonnes de volonté, de souffrance : « Putain ! Ca va chier ! »… Bang ! (une image… il n’y pas eu de coup de feu) Le départ est donné, les coureurs de têtes sont partis comme des balles (au bang !)… Eux, ils jouent la gagne ! Derrière on pousse pour se faufiler, jusqu’aux derniers qui d’un pas tranquille et sage attendent la fin des hostilités du départ pour commencer à trotter, comme dirait Léon. Voilà, ils sont partis !

Encore cinq minutes et je tuais quelqu’un

Pendant quelques instants on était au centre de l’Univers, la musique à fond, l’adrénaline, le chaos, la bataille… Et maintenant plus rien ! Les guerriers spartiates sont partis au combat, laissant derrière eux enfants et femmes… qui s’ennuient ou pas ? Les spectateurs se dispersent, le silence s’impose, The sunny side du Mont-Blanc s’embrase des premières lueurs de l’aube : il va faire grand beau, très chaud, ils vont crever de soif ! Je repère le patron occupé à vider ses cartes mémoires dans un ordi. Je le chope par le short direction le premier café : « Pour moi, un grand café, un pain au chocolat et un croissant, Grazie ! Et c’est le mec en short qui paye ! ». Putain ! Encore cinq minutes et je tuais quelqu’un. Allez, encore une petite barre de pâte d’amande ! La journée va être longue…

 

Chapitre 2

Col de Chabanne, après une longue piste tape-cul, on se retrouve dans le petit matin face au Mont Blanc, à marcher dans l’herbe humide de rosée, sous un ciel sans un nuage. On se poste à l’affut à attendre les premiers coureurs en provenance du Lac de Combal. Moment de sérénité, pas un bruit, excepté le déclencheur et le flash du patron qui fait ses tests lumière sur un cobaye amicalement dévoué. Et ils déboulent ! Les premiers à fond, « frais comme à l’entraînement » ; les suivants en mode « j’ai perdu un poumon ! » ; jusqu’à ceux, en queue de peloton, qui affichent dans le regard un « j’ai plus de poumons, mon cœur va lâcher… j’vais mourir ! Appelez l’hélico ! »… Et ils ne sont qu’au quart de la course ! Un coureur s’arrête pour vidanger sa vessie, et entre deux inspirations à l’agonie, son engin à la main face au plus haut sommet d’Europe brillant de tous ses feux (le sommet, pas l’engin !), il lâche un sincère : « La Vache ! Trop beau ici ! ». Amis de la poésie…

« j’ai plus de poumons, mon cœur va lâcher… j’vais mourir ! Appelez l’hélico ! »

La course continue sur une grande piste, la nôtre aussi, en l’occurrence, pour redescendre avec notre gros 4×4. On pousse un peu les traileurs dans les talus pour se frayer un chemin et ne pas trop prendre de retard. Au rythme où file la tête de course, il ne faut pas traîner, sinon on ne les rattrapera pas avant Chamonix. Au passage on les enfume un peu avec notre diesel, on leur casse les oreilles… j’ai un peu honte, mais bon… faut bien que la presse fasse son boulot. Sans médias pas de partenaires, sans partenaires pas de dollars, et sans dollars pas de Barnum, ou alors un Trail entre potes ? J’ai honte quand même ! Une barre de pâte d’amande et un sandwich plus tard, on pointe en tête au Col de Forclaz. On est arrivé avant les coureurs. Ouf ! On n’aura pas risqué notre vie pour rien dans la spéciale du Col du Petit Saint Bernard, à doubler les camping cars qui eux-mêmes doublaient les camions dans les épingles à cheveux… une flippante à s’arracher les cheveux… pas les épingles, J’avais pris soin d’enlever mes bigoudis en prévision de ce genre d’action. Au niveau du col, je décide de taper la photo qui va bien avec l’ambiance pâturages, et je passe une heure à placer avec ruse un troupeau de moutons bougons sur le sentier du parcours.

Au passage on les enfume un peu avec notre diesel

Les premiers traileurs arrivent, les moutons prennent peur et se barrent dans tous les sens. Je passe à autre chose !  Un col plus tard, à celui de Cormet de Roselend, on retrouve la foule, avec un point de ravitaillement, rendez-vous des familles qui suivent les coureurs, des vendeurs de saucissons… J’ai lu dans les infos presse, entre autres chiffres, dans la rubrique « Logistique terrain » : “ 450 kg de saucissons “. Je trouve le chiffre sympa. Savoir qu’au milieu de tout ce monde de diététique, de bio, de gel et d’avoine avec un yoghourt sans sucre, on mange 450 kg de gras mauvais pour les artères, et pour les cochons. C’est rassurant, sauf pour les cochons. Il faut savoir que la bouffe, la diététique, tient une place prépondérante dans la préparation des coureurs. Preuve en est le succès du livre Best-seller de Scott Jurek « Run & eat »… mais pas en même temps. Mauvais pour la digestion et pas facile de se taper une côte de bœuf en courant avec un verre de Bordeaux.

Il ne supporte pas la vue d’une paire de fesses

Le Jurek défend une approche ascétique, avec une nourriture saine et simple, l’équilibre dans la course, dans sa tête, dans son assiette, dans la vie, et en appelle au Bushido, au bouddhisme. L’Ultra-Trail (150 km minimun, sinon c’est pour Ushain Bolt) comme philosophie, comme mode de pensée. Le gars est très fort, et il est américain, un compétiteur dans l’âme. Il nous vend le dépassement de soi. Mais le seul truc qui le turlupine dans une course c’est phase un, de dépasser le mec devant lui, phase deux, d’exploser le record ! Dans tous les cas, il ne supporte pas la vue d’une paire de fesses le devançant sur un sentier. Même pas celles d’une jolie coureuse. Honte à celui qui se fait battre par une concurrente du sexe faible ! Se faire « meufiser » comme ils disent ! Un brin machiste les traileurs, ou l’éternel jeu homme-femme du « cours après moi que je t’attrape » ? Bref, j’ai quand même l’impression qu’à force de courir ils planent tous grave, à coup d’adrénaline et autres endorphines. On sent une sorte de quête du moi, profonde, sincère, mais aussi un peu maladroite, un mélange de sueur et de réflexions, une envie d’accrocher par l’action l’état d’équilibre et de connaissance de soi atteint par la spiritualité. Peut-être… ? En attendant, ils courent, et la nuit tombe. Nous on rentre fissa au QG à Chamonix pour shooter l’arrivée des premiers. Ils sont déjà là ? Ils ne sont pas humains ces mecs… !

On s’est fait lever par la daronne de l’hôtel

Fin de journée, le patron m’a trouvé une piaule à l’ENSA grâce à l’Organisation, mon lumbago chronique vous remercie ! On s’est fait lever par la daronne de l’hôtel qui n’a pas trop apprécié le squat non déclaré de sa piaule pourrie… 23h20, avec mon sac de 50 kg sur le dos je traverse la ville où se promènent encore à cette heure tardive des coureurs habillés de pied en cap en tenue moulante du parfait traileur, mais sans cape, ou alors vous avez croisé Batman en vacances à la montagne. Certains viennent d’arriver de la TDS. On les reconnaît facilement à leur air déguenillé de gars qui revient du front. D’autres sont peut-être déjà en tenue pour le départ de l’OCC demain matin ? Ou alors, ils sont comme les promeneurs en smoking sur la Croisette au Festival de Cannes, qui espèrent dégoter une place pour la projection en avant-première et enfilent le costume au cas où ? Lars lui, il n’est ni en smoking ni en tenue de coureur des cimes. Un Stetson de paille sur la tête, une chemise à fleurs, un short en jean fait main taillé à la tronçonneuse, des espadrilles défoncées, il balade sa cinquantaine usée au milieu de la route et des voitures ; sa copine, aussi éméchée que lui, supplie son Lars de revenir sur le trottoir ! Mais le matador s’en moque et continue sa corrida entre les troupeaux de taureaux métalliques à quatre roues, les klaxons et les promeneurs en smoking traileur. On dirait la scène avec Belmondo dans “ Un singe en hiver “, sauf qu’on est en été, et que Bébel, lui, n’aurait jamais eu le mauvais goût de mettre une chemise à fleurs avec un short en jeans !

Ascenseur dans l’une des tours de l’ENSA et enfin une chambre pour moi tout seul. De la fenêtre vue sur les lumières de la ville, et les neiges éternelles du Mont-Blanc, qui sous une Lune presque aussi pleine que Lars, scintillent dans la nuit tels des néons de glace… C’est Vegas dans les Alpes !

Sonnerie musicale de mon téléphone, “Beast of Burden“ des Stones. Le rédac-chef :

  • Pas mal ton début d’article, mais trop long… T’es à plus de la moitié et t’as même pas encore attaqué l’UTMB !
  • Ok, patron, je vais faire court… Et pour la pige alors, le montant, les frais, tout ça ?
  • Clic ! Bip, bip, bip !
  • Ok patron !

 

  

Chapitre 3

“Longtemps, je me suis couché de bonne heure“, mais là je me suis couché tard, et levé tôt, l’impression d’un déjà vécu… comme dans le film « Un jour sans fin » où le héros répète sans cesse la même journée : dans mon cas la même course. Mais non ! Cette fois on part en Suisse, et pas de tunnel. Dans les brumes du petit matin, j’ai eu le temps cette fois de prendre un café au distributeur de l’ENSA.

Un ami, ou un mari, ou une femme, ou un amant, ou une maîtresse dans la nuit

`Je remonte lentement les petites rues en trempant une barre de pâte d’amande dans le liquide noir bouillant, et je croise la ligne d’arrivée de la TDS. Je les avais oubliés ceux-là… ! Ils continuent d’arriver un paquet d’heures après les premiers ! Spectacle surréaliste ! Dans ce petit matin encore dans la pénombre, au milieu des spots de lumières artificielles, dans le silence et l’air frais de l’aube, arrivent les derniers coureurs, souvent seuls, parfois deux solitaires qui partagent la même fortune, parfois un couple… Pas de public pour applaudir ! Pour certains, la famille est là, ou un ami, ou un mari, ou une femme, ou un amant, ou une maîtresse dans la nuit. Ou personne ! Un peu triste, et beau et fort à la fois ! La veille les arrivées étaient joyeuses, électriques. Ça sentait la « fortune et la gloire ». Là on sent dans les regards des finishers un « Content d’en finir ! »… Le bonheur de l’avoir fait viendra après ! A 6h du mat, un coureur passe la ligne en lâchant un : « Je n’y croyais plus ! ». Une question de Foi alors ? Peut-être ! Mais en qui ? En quoi ? En tant qu’alpiniste, je me suis toujours demandé pourquoi aller courir en montagne ? Tu n’as pas le temps d’apprécier les paysages, la nature. Tu es au taquet, tu souffres. Et pour peu que tu sois un peu porté sur la compétition, tu vas faire du mal à ton Karma en voulant avoir la peau du mec devant toi et dézinguer le mec qui te colle aux basques. Basques qui au passage t’ont coûté 1 euro le gramme. A ce rythme-là il sera bientôt plus rentable de vendre des chaussures de Trail que de l’Ecstasy… Le top pour les marques aurait été de pouvoir faire les deux, grosse rentabilité et drôle pour les coureurs… et le public !

La combinaison latex ultra moulante et les coups de cravache

Quel plaisir à se faire du mal ? D’autant que la combinaison latex ultra moulante et les coups de cravache ne sont pas vraiment à la mode dans l’esprit du Trail. Je ne comprends pas ! Je comprends les courses ultra longues sur routes, ou pistes, où tu veux, mais en montagne ? C’est donner du lard aux cochons… encore eux, et aucun rapport avec les combinaisons latex (les cochons !). Comme je suis un pro, avant de partir j’ai un peu lu sur le sujet afin de ne pas arriver sur l’UTMB, la plus grande et la plus belle course du monde comme, comme… ? Comme rien, je suis un pro, je potasse avant d’affronter l’adversité ! Dans le monde de la course de montagne un autre bouquin fait un tabac, ce qui, je vous l’accorde, est étrange pour un livre vantant le bonheur de la VO2 max (ce n’est pas une nouvelle drogue de synthèse) : « Born to Run ». L’auteur, Christophe Mac Dougall, raconte entre autres l’histoire des indiens Trahumaras au Mexique, qui vivent dans le Copper Canyon, une espèce de désert de pierres et de sable, où si tu n’y es pas né, tu ne restes pas, et même si tu y es né, tu ne restes pas non plus. Hé bien, les gars pieds nus, ils courent des distances incroyables, dépassant la centaine de kilomètres, sans fatigue, enfin pas trop… ni blessures… pas trop non plus. Le nec plus ultra de la course à pied, courir libre sans chaussures, le fantasme, le Nirvana garanti ! Sur le fond (normal on parle de courses… de fond… de fond de canyon même !) on adhère, même si une bonne Vibram parfois ça aide (à adhérer !). Mais si les 7500 participants de la semaine UTMB se mettent à courir sans chaussures, comment qu’il va faire l’organisateur pour trouver des partenaires ? Et surtout leurs thunes ? Pour peu que le pagne vienne à se mettre à la mode, adios aussi les équipementiers !

Au premier 4×4 qui se pointe, ils tendent le pouce pour se faire embarquer

Pas simple de conjuguer à la fois vendre, vivre l’aventure, la vraie, être sincère dans son activité quand le fond (encore lui !) et la forme sont en fait incompatibles. Alors le traileur CSP+ (ce n’est pas une nouvelle course de l’UTMB, initiales de “catégorie socio-professionnelle supérieure, disposant d’un pouvoir d’achat plus élevé que la moyenne“) court en short et en chaussures. Il s’éclate, mais il n’atteindra jamais le Nirvana des indiens Trahumaras, car eux courent parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement. Ils courent pour vivre ou survivre, ils ont faim, et au premier 4×4 qui se pointe, ils tendent le pouce pour se faire embarquer. Humains les indiens, humains les traileurs qui se rêvent indiens, comme on rêve d’un paradis perdu. Les marques l’ont bien compris : le Paradis oui, mais bien équipé… On a vu ce que cela en a coûté à Adam et Eve, les premiers traileurs de l’histoire, de courir à poil en croquant des gels à la pomme !

“Beast of Burden“… Je décroche :

  • Bon là faut que t’arrêtes, t’as un feuillet pour finir ton article, sinon je coupe dans le tas !
  • Ok, Boss, mais je voulais te demander, avec tout le respect que je te dois… »
  • Clic ! Bip, bip, bip !

A quoi ressemble la course vécue de l’intérieur : « Les paysages on n’apprécie pas, on s’en délecte, on s’y fond », dixit le fameux Jurek, et de rajouter : « On a conquis le Paradis. On a vécu 80 vies ». Idem pour moi côté presse ! Après la TDS, j’ai donc vécu l’OCC, puis la CCC, et enfin l’UTMB. Je me suis fondu dans des paysages à couper le souffle, qui ont imprimé le capteur de mon appareil photo, mais rien en comparaison des images gravées dans mes souvenirs. Au bout de 3 jours de courses on confond toutes les courses. On a dormi quelques heures par nuit, mangé des kilos de pâtes d’amande, bu des litres de café. L’esprit embrumé par la fatigue, comme les coureurs, on avance encore et toujours, jusqu’à un col pour faire des photos, avant de redescendre dans la vallée pour faire l’arrivée de la course d’hier et le départ de celle d’aujourd’hui. Ou l’inverse, je ne sais plus… ?

Coureurs parlant tout seuls, sursautant, épouvantés par les flashs de nos appareils

La magie opère quand la fatigue s’en mêle ! Au pied des Aiguilles Rouges, j’ai assisté, au-dessus des Drus, au lever de la pleine Lune projetant sur le sentier les ombres allongées des coureurs de l’UTMB qui affrontaient leurs dernières heures de course. Certains courraient encore, d’autres marchaient, hésitant dans la pénombre, fixant le sentier, attirés comme des papillons de nuit par le cercle de leur frontale, parlant tout seuls, sursautant, épouvantés par les flashs de nos appareils … Sorry les gars ! Au PC de la Flégère, un samedi soir sur la Terre, vers minuit, un vieux monsieur avec un faux air de Nostradamus, barbe blanche et longue, chapeau bizarre du moyen-âge sur une coupe de cheveux hors mode, sert la soupe en rigolant. Un spectateur attardé, pas de mégarde, aucune allusion à son QI, je ne le connaissais même pas, lui demande : « Vous savez qui a gagné l’UTMB ? ». Et Nostradamus de répondre : « Sais pas ! »… le premier avait passé la ligne d’arrivée depuis un paquet d’heures ! Je confirme, c’était un vrai faux air de Nostradamus.

Chapitre 4

Et la musique, encore et toujours, aux départs, sur les lignes d’arrivée… Sinatra « let’s take off in the blue, let’s fly away », les Stones « Start me up » avec un « running hot » adéquat. Les Who (qui ça ?) avec un « Born to be wild » qui frôlait l’excommunication juste avant les hymnes nationaux de la France, de la Suisse et de l’Italie. Sans oublier le « Conquest of Paradise », sur la ligne de départ de l’UTMB, la chair de poule (encore ? Et oui mon poulet ! Même le journaliste grincheux se fait avoir), tous à l’unisson dans le partage, dans l’émotion. On aurait cru entendre tous les cœurs battre au même rythme que les notes de Vangelis, les coureurs, les spectateurs, les organisateurs, les chiens, les chats, les agents de police au carrefour, les jolies filles perchées sur les statues de Balmat et Saussure, et le patron perché lui sur son escabeau de photographe !

Les animateurs, dans les hauts parleurs, chauffent le tout jusqu’à la fusion

L’instant du départ claque dans la vallée comme un coup de canon (c’est encore une image, on est entre pacifistes), les premiers partent comme des boulets fendant l’air dans un sifflement où fusent les cris des guerriers, de la foule en délire et des animateurs qui, dans les hauts parleurs, chauffent le tout jusqu’à la fusion… dans un orgasme général !  Les conquistadors s’élancent comme un seul homme, (les coureuses aussi, c’est misogyne mais c’est l’expression qui veut ça) vers les cimes, aux limites du ciel et de l’inconnu ! Pour parodier Robert Duval dans la scène mythique d’Apocalypse Now sur la plage avant de lancer « La Chevauchée des Walkyries » de Wagner : « Nothing in the world smells like that. I love the smell of napalm in the morning… Smelled like… victory. ». Le napalm en moins, ça sentait vraiment la victoire !

Mais quand même, les arrivées restent les moments les plus touchants, les plus drôles, aussi parfois les plus durs, mais drôles quand même ! Une mère à son fils après 42 heures loin du radar maternel : « Matthieu, mon fils, le plus beau jour de ma vie… le deuxième après l’accouchement ! ». Le fils d’enchaîner, heureux d’en finir (avec la course, pas sa maman) : « Ce qu’il ne faut pas faire pour faire plaisir à sa mère ! ». Les deux étaient au paradis, ils rayonnaient de joie.

Des gabarits improbables, grands, lourds, courbés, rondouillards, explosés, heureux

J’ai vu un couple d’une cinquantaine d’années et des poussières – quand on aime on compte pas – passer simplement, logiquement la ligne, main dans la main, pour « le meilleur et pour le pire ! ». Il y a aussi Le solitaire de jour que personne n’attend et qui, comme son collègue de 4 heures du matin, passe la ligne dans l’indifférence totale, grand moment de solitude. J’ai vu arriver après 100 km de courses, des gabarits improbables, grands, lourds, courbés, rondouillards, mal équipés (sac de rando !), explosés, heureux, étonnés d’arriver, d’être applaudis… Eux ils m’ont bluffé ! Eux et le “sexe faible“, qui n’a de faible que le nom.  Il y a aussi tous ceux qui passent la ligne drapeaux au vent, pour dire d’où on vient, de près ou de loin, pour dire que de partout on vient fêter la fierté de partager la plus belle part d’humanité qui est en nous. Flottent les couleurs de la Catalogne, du Portugal, de la Chine, de la Corée, du Japon, des US, de l’Espagne… pas de français. En France le drapeau tricolore a été kidnappé par la rhétorique nauséabonde d’une partie extrême de la connerie ! Sur la ligne j’ai raté la plus belle photo, la seule qu’il ne fallait pas rater, celle qui symbolisait l’humanité dans ce qu’elle a de meilleur : cent mètres avant l’arrivée, un homme donne un bébé de quelques mois à un autre homme à bout de 40 heures de courses. L’enfant dans les bras, son compagnon à ses côtés le traileur passe la ligne en levant le bras de la victoire, et le couple échange un baiser rapide, discret…. J’ai la photo d’avant et celle d’après le baiser ! Doisneau a réussi à capturer son Baiser de l’Hôtel de Ville, j’ai laissé s’échapper le Baiser de l’UTMB…  L’amour, tous les amours étaient là dans une photo. Pas grave ! Je l’ai dans ma tête, le plus important est que ce moment ait existé.

Comment redescend-on de l’UTMB, le jour d’après ?

J’ai vu tous ces guerriers de Sparte revenir de leur combat où ils ont « Oublié le passé et renoncer aux projets pour se concentrer sur le présent », laissant derrière eux pour un jour ou deux, femmes et enfants, amants et maîtresses. Combien de couples se sont défaits, faits, ou refaits au Casino de la vie, autour de l’UTMB, autour de cette année qui précède, où l’entraînement chronophage cannibalise vos jours. Comment redescend-on de l’UTMB, le jour d’après ? Le retour au réel, à la routine quand on a été un guerrier vrai ou fantasmé. A quoi pensent-t-ils vraiment dans la nuit, perdus au milieu des guirlandes de frontales, farandole de lucioles carburant aux piles de Lithium, unis dans la nuit, dans la même chaîne, dans une espèce de big gang-bang universel ? Ils rêvent de leur place dans le classement ou dans l’Univers ? Les deux… ? Est-ce que par hasard ce ne serait pas là la vraie question et, ou, la réponse au pourquoi courir dans la montagne ?

Standing ovation de la salle de presse : j’ai gagné le short de surfeur du patron

Remise des prix. J’ai gagné le concours officieux, organisé par mes confrères, de la photo la plus sexy de l’UTMB. Trop facile ? J’ai bossé au Festival de Cannes, j’ai l’entraînement, les réflexes pour choper ce genre d’instantané : cuisses de traileurs et cuisses des people, même combat ! Après la standing ovation de la salle de presse, j’ai gagné le short de surfeur du patron qui est reparti en string brésilien de surfeur. Allez, un dernier retour sur le tarmac, après une dernière pâte d’amande, pour la vraie remise des prix. Moments solennels, discours, coupes et médailles, c’est long… Je vagabonde, je shoote les badauds, la foule…  Puis les clochettes de la bande à La Trotte à Léon sonnent la fin de la partie, la fin de la récréation. Les clochettes sonnent encore et toujours : « Putain ! c’est déjà fini ! ». Je commençais à m’habituer. Plus tard, quand je serai grand, je ferai traileur.

Il ne carbure pas à la pâte d’amande, lui !

Courir dans la montagne, léger, fendre les crépuscules, se dissoudre dans les petits matins, libre, voler au-dessus des sentiers, partager la route avec sa solitude ou celle de compagnons éphémères, les applaudissements, la musique, les larmes, les rires, les larmes (pas les mêmes, de joie celle-là), et toujours la montagne, dans la lumière, sous la pluie, dans le brouillard, dans le dépassement de soi et des autres si ça m’amuse. Un Grand Cirque, une immense piste aux Etoiles, l’UTMB conjugue les paradoxes, flatte ce qu’il y a de plus sincère en nous, la joie de vivre ensemble, de partager, caresse notre orgueil, notre soif de réussir, d’exister à travers le regard des autres, et le fameux « Fortune et gloire ! Demi-Lune, fortune et gloire ! » d’Indiana Jones (dans le deuxième volet, et Demi-Lune est le surnom du petit héros, Indy ne parle pas aux astres, il ne carbure pas à la pâte d’amande, lui !). Il y a un côté télé réalité, mise en scène du monde avec tout ce que cela comporte de Sexe drug and rock’n roll, version light, mais c’est bon quand même…

F.ck ! J’ai dépassé les 20 000 caractères. Il faut que j’arrête sinon le patron va me couper en deux. Une dernière pour la route, j’avais noté un truc dans la nuit à la frontale pendant qu’on attendait les coureurs de l’UTMB à La Tête aux Vents sous la fameuse pleine Lune :                                                                                                                                   « L’ultra-Trail, c’est la voie  opposée à la méditation, pour arriver au même sommet : la paix intérieure. Une voie qui passe par cette fatigue qui anesthésie les pensées, et donc le cerveau, qui ne travaille plus alors qu’à l’essentiel, survivre, finir, s’arrêter… Superbe coup de hacking du cerveau qui se pirate lui-même via l’effort physique pour enfin être présent au présent, et uniquement au présent. Un départ, une arrivée, la fatigue, la douleur, l’euphorie, tout ça pour enfin annihiler la souffrance inhérente à chacun, la souffrance physique pour lutter contre la souffrance de l’âme »

Générique de fin !

Bing Bing Bing (ma nouvelle sonnerie “clochettes “ de l’UTMB “)

  • Salut Patron, j’ai fini !
  • Ok, envoie-moi le texte et les photos retouchées avec les filtres couleurs et tout et tout…
  • …J’peux pas les retoucher, je suis daltonien !
  • Pas grave ! Je ferai faire par ma voisine, on déduira de ta pige !
  • Ok patron ! Patron, je pourrai y retourner l’année prochaine à l’UTMB ?
  • Pourquoi pas…
  • Et pour les notes de frais et…
  • On les rajoutera à celles de l’année prochaine et on te fera un virement d’un coup…
  • …Ça m’arrangerait plus si…
  • Bip bip bip
  • Ok, patron !






















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L’HEURE DES GENTLEMEN

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