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L’art de la trace. Petits détours sur le ski de randonnée et les neiges d’altitude.

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Aphorismes en stock

Le petit bouquin pèse 82 grammes (avec le bouquet de post-it d’après lecture) sur notre balance : format refuge de montagne ? Une légèreté qui masque la densité des mots. C’est simple, tout y est dans ce livret : Cédric Sapin-Defour a réussi à faire entrer les peaux, les skis, le sac, les histoires, les sensations et surtout le bonhomme, homme montant/glissant qui gamberge. Le texte est écrit quasiment d’un jet, sans intertitres. Il ne se lit pas franchement d’une traite car il est riche et ce serait dommage de na pas déguster correctement les multiples passages lumineux. C’est le type de bouquin où l’on s’arrête à chaque page pour noter l’un des aphorismes que l’on a envie de graver immédiatement sur ses spatules. En gros, il a couché sur le papier, avec talent, tout ce que le skieur randonneur a ressenti depuis sa première paire de peaux de phoques. Un exemple ? Le petit coup de griffes sur la digitalisation de nos sorties via GPS et autres applications (page 26) : « Elles nos disent un peu trop quoi faire (…). Il nous devient difficile d’offrir des interstices à l’indécision et sans elle meurt l’imagination (…) En ski comme ailleurs, les beautés reposent dans le clair-obscur ». 

Ici, le seul responsable, c’est moi

Un autre passage ? Celui portant sur la décision (page 62)… « En montagne, il faut savoir aller vite sans omettre de faire le point. Décider, c’est accepter de s’être trompé dix minutes avant, c’est avancer sur ce fin ruban entre convictions et certitudes ; ne pas assez croire aux premières ou trop aux secondes, voilà le terreau des accidents (…) On crève d’une société décidant pour nous à tout bout de champ, on en crève car l’on s’y fait. Ici, le seul responsable, c’est moi. » Un (avant) dernier (page 67) pour la route que l’on adore, sinon on va finir par devoir payer d’exorbitants droits d’auteur ! On connait tous ce genre de gars qui sont passés entre les gouttes, miraculés permanents : « … ne jamais mourir ne signifie pas que l’on ait eu raison : il est des skieurs dont la carrière n’a été qu’un chapelet de barakas et de fausses certitudes ». 

Skieurs randonneurs, notre avis sur ce petit livre ? Il devrait être livré avec la trilogie DVA, pelle, sonde. Une dernière petite phrase piquée page 47 : « Comme par hasard, au retour des sorties au grand air, nous trouvons des bribes de réponses à ces fichues questions que charrie l’existence ».

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Toujours y croire, la mère d’Alex Honnold raconte

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Les questions légitimes des risques et de la mort, ne sont pas éludées

L’idée de ce livre peut sembler saugrenue et pourtant…

En effet, pourquoi s’intéresser aux Saints quand on veut en savoir plus sur le Bon Dieu ? Celui qui prend la lumière, c’est Alex Honnold et pas sa mère. Pourquoi lire l’histoire d’une dame de soixante-six ans, certes, très respectable, alors que l’on a envie de tout savoir sur l’or que tisse son fils au bout des doigts ? Un fiston qui a bousculé le monde de l’escalade libre avec son art du solo intégral : dans le parc national du Yosemite avec le mythique El Capitan, le Half Dome… 

Et pourtant… Ce livre est passionnant à plus d’un titre. Raconté à la première personne par Dierdre (marrant, à une lettre près, son prénom se transforme en : dièdre), cette biographie permet à la fois de comprendre d’où vient Alex, de quoi il s’est nourri pour grimper sans protections, et aussi d’assister au rapprochement des deux univers, de la mère et du fils : comment Dierdre, à la suite d’une rupture familiale fait le chemin pour découvrir et comprendre la passion du fiston super star. Elle se met à l’escalade, elle raconte les difficiles étapes de la redécouverte des capacités de son corps, la force insoupçonnée de son esprit. Peu à peu, elle voit en action le don de son fils. Les questions légitimes des risques et de la mort, à défaut d’être débattues, ne sont pas éludées. 

Ce livre est le récit d’une catharsis vitale

Le parallèle entre l’expertise décontractée (en apparence) de son fils et les efforts inconsidérés de la mère pour côtoyer la verticalité sont finement racontés. Dierdre est professeur, elle jongle avec les mots, son écriture est fluide, vivace, sans détours envers elle-même et son ex-mari que l’on qualifiera d’autiste empêcheur. On comprend mieux l’origine d’un garçon comme Alex qui n’aurait sans doute jamais connu un tel sang-froid face au vide sans l’histoire familiale. Ce livre est le récit d’un dépassement, d’une catharsis vitale. On a passé un vrai bon moment dans ces pages.  

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Au milieu de l’été, un invincible hiver

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L’histoire vraie du drame du Frêney

Dans son précédent livre, « Pendant que les champs brûlent », Virginie Troussier nous donnait à ressentir l’intensité de la vie qui s’écoule en nous de paysages en voyages… Avec son nouveau manuscrit, « Au milieu de l’été, un invincible hiver », histoire vraie du drame du Frêney qui endeuilla l’alpinisme au début des années 60, elle continue ce récit sur la connaissance de soi confrontée à la force des éléments, leurs beautés et/ou leurs violences.  D’une écriture dense, fluide, poétique, toute en sensation, où la lumière des êtres s’oppose à la noirceur du drame, elle nous parle, dans l’épopée d’une poignée d’alpinistes pris dans les mailles de leurs destins verticaux, de l’universalité de l’aventure humaine. 

Une épopée en forme de tragédie grecque, où les lieux ne sont que supports, décors majestueux et démesurés, qui encerclent la ligne de vie verticale que constitue une voie d’alpinisme. Pendant six nuits et sept jours on plonge dans les profondeurs de la nature humaine quand elle se confronte à ses limites, poussée par une nature hostile. Le titre résume à lui seul le livre, sorte de micro-nouvelle à la Hemingway, et contient déjà les tenants et les aboutissants, la cause et les effets, la joie et le drame, le jour et la nuit. Le pitch : à l’été 1961, le monde de l’alpinisme extrême lorgne avec envie la face sud du Mont-Blanc où le Pilier central du Frêney constitue l’un des derniers défis de cette face. 

Réunis par le hasard, ou les dieux…

Une ligne vierge comme en rêvent les alpinistes. Une voie extrême techniquement et qui projette son granit compact à plus de 4000 m. L’accès pour atteindre l’attaque constitue déjà une course en elle-même. L’engagement est total, la montagne gigantesque et, ici encore plus qu’ailleurs, la météo capricieuse est la clé de voûte de l’entreprise. Dans ce monde de roc et de glace, l’homme n’est que poussière. En ce début juillet une fenêtre météo offre la tentation à deux groupes qui décident de tenter l’aventure sur le Frêney : des Italiens au départ de Courmayeur, et des français qui montent de Chamonix. Et c’est ainsi que réunis par le hasard, ou les dieux, se retrouvent au refuge de la Fourche l’immense Walter Bonatti, accompagné de Roberto Gallieni et Andrea Oggioni, et le talentueux Pierre Mazeaud avec sa bande de copains, Pierre Kohlmann, Antoine Vieille et Robert Guillaume. Cette rencontre dans ce refuge perdu loin du monde constitue la première scène du premier acte, une scène de joie où l’amitié est reine, où ces sept alpinistes qui sont parmi les meilleurs de leur génération sont aussi et surtout des gentlemen, des vrais ! « Bonatti invite les français à maintenir leur objectif, lui fera une autre course », les français touchés par l’élégance du geste de Bonatti proposent qu’ils fassent cordée ensemble… Ils partiront à l’assaut tous attachés à la même corde. Le décor est posé, les acteurs sont en place. A partir de là Virginie nous entraîne dans un voyage au bout de l’enfer où les sept protagonistes encordés à un destin commun vont être ballotés tels des fétus de paille dans une tempête dantesque. 

L’écriture se dédouane de tout récit technique, l’alpinisme n’est pas le sujet…

L’auteure avec talent ne fait pas que raconter. Elle met en musique les paroles qu’elle a recueillies de Pierre Mazeaud, les textes de Bonatti… On ne lit pas, on ne lit plus, on vit l’action. Le récit nous immerge dans la tempête, dans l’angoisse, dans la peur, dans l’espoir, dans la tempête encore, dans cette aventure claustrophobe où les héros sont prisonniers d’une ligne verticale, écrasés par un paysage infini à l’horizon bouché. Les inlassables coups de semonce de l’orage nous font sursauter, le blizzard nous fend le visage, le froid engourdit nos doigts, nos pieds… La descente est interminable… On vit chaque rappel, chacun comme une souffrance et un pas vers la délivrance. Le sort s’acharne. Y a-t-il une fin ? L’écriture de Virginie se dédouane de tout récit technique, pas de cotation, quelques pitons, quelques cordes, un marteau par ici, une corde et des crampons par-là, l’alpinisme n’est pas le sujet, le sujet de cette Odyssée c’est l’Homme, des hommes, projetés face à eux-mêmes, pleins de leur force et de leur faiblesse, par des éléments déchaînés. La richesse de l’écriture de Virginie nous donne une vision intérieure. Nous ne sommes pas spectateurs de l’action, mais témoins. Témoins de la souffrance et du courage, de l’incroyable volonté de survie qui résiste encore et encore, mais qui inexorablement se consume lentement comme une bougie à la flamme vacillante dans un courant d’air. Témoins impuissants de ces secondes sans fin qui écraseront de leurs masses abstraites ces sept jours de dérive. 

Une pépite qui mérite sa place dans votre bibliothèque

Quatre des sept alpinistes ne rentreront jamais dans la vallée, morts d’épuisement, les derniers à portée de main des sauveteurs. Ce drame rentrera dans la mythologie de l’alpinisme. Pour les survivants la vie sera bouleversée à toujours. Virginie fait dire à Walter Bonatti : « Là-haut, en orbite, on prend la lumière autrement » … Oui ! car fondamentalement, finalement, de retour dans la vallée on se rend compte que ce livre parle en fait de lumières, celle de l’amitié, de la passion, de la Nature grandiose des paysages de haute montagne, et celle qui brille dans le cœur des hommes quand la pénombre voile leurs regards. 

On dévore le livre de Virginie même si l’on n’a aucun atome crochu avec l’alpinisme.  Une pépite qui méritera sa place dans votre bibliothèque aux côtés des classiques de la littérature alpine. Alors, avant d’attaquer le Frêney, allumez un bon feu dans votre cheminée, engouffrez-vous dans votre doudoune, enfilez votre bonnet et vos gants de laine… Vous allez avoir « frais ». Et pour accompagner votre premier bivouac sur le pilier du Frêney, ce petit extrait : « La nuit est une étendue infinie de noir, piquée de clous d’or et de reflets bleus d’été, les couleurs remontent comme un éternel chuchotement ». Belle lecture…

Fernando Ferreira

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LE TRIPLE CHAMPION DÉVOILE SES SECRETS

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Gabriel Garcia Marquez à l’écriture…

Les coureurs cyclistes colombiens, Nairo Quintana, Egan Bernal pour ne citer qu’eux, vénèrent leur premier grand champion de la discipline : Ramon Hoyos. Son parcours, des faubourgs de Medellin à la gloire internationale, est raconté par Gabriel Garcia Marquez, lui-même, prix Nobel de littérature. Pourtant, pas d’effet de style dans ce récit, juste les mots du champion qui roulait sur son vélo, le dos courbé, d’où son surnom, El Escarabajo : le scarabée. 

Avec ses cinq victoires sur le Tour de Colombie, Ramon Hoyos est un monument du cyclisme. Pourtant, ses débuts ne laissaient pas présager de tels succès. Le style journalistique de Gabriel Garcia Marquez décrit un jeune homme qui était originellement plus passionné par le métier de boucher que par le vélo, un sport quasi inaccessible à l’époque, vu le prix des deux roues… C’est parce qu’il voulait être livreur qu’il s’est mis à la bicyclette. Il roule alors à tombeau ouvert pour gagner plus rapidement quelques pièces et aussi, pour revenir plus vite à la boucherie dont il assure les livraisons de viande. Sa vitesse lui permet d’assister au magasin à sa leçon quotidienne de découpe de quartiers de bœuf : « c’est comme ça que je suis devenu meilleur cycliste alors que je pensais progresser comme boucher ». 

Ramon Hoyos s’entrainait à Medellin en fumant des clopes

« Le triple champion dévoile ses secrets » raconte une époque où Ramon Hoyos s’entrainait à Medellin en fumant des clopes, parfois huit sur une sortie. Si, au bord de la route, il y avait une fête, les coureurs s’y mêlaient en buvant des gorgées d’aguardiente (eau de vie). Ce sont les années épiques où rouler est une aventure, où les vélos se volent, où Ramon Hoyos est reçu à coups de bâtons à l’arrivée de son cinquième Tour de Colombie à Bogota, où le public le frappe de l’entrée de la ville jusqu’au vélodrome ! Il n’est, en effet, pas originaire de Bogota. Sur une édition, ce ne sont pas moins de quatre motards, revolvers à la main qui l’escortent ; peine perdue, il est accueilli par des jets de pierres, des épluchures, une pluie de coups et son premier vélo de course est dérobé. 

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UN TRIATHLON MAIS À QUEL PRIX ?

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Un petit bouquin qui sent le vécu

Valtrés se frotte à un genre, celui du sportif embeded dans une belle galère, celle de la préparation et la participation à l’Embrunman. Un Ironman plutôt costaud car il présente quasiment cinq mille mètres de dénivelé en plus des 3,8 kms de natation, 170 de vélo et des 42 kms du marathon. 

Il s’agit d’un petit bouquin qui sent le vécu, avec une trame désormais classique type Rambo : la préparation d’un sportif lambda qui doit devenir super héros pour survivre au rite de passage du triathlon XXL. Décision de la participation, achat du matériel, tensions dans le couple, blessure, regard des autres, désocialisation sous l’effet de l’entrainement, question du sens d’une telle entreprise, tentation d’abandon, acmé de l’épreuve et de la ligne d’arrivée… 

Chaque sportif s’étant lancé dans une course d’envergure se reconnaitra dans les mots de Valtrés. Ce n’est pas de la grande littérature mais les 110 pages se lisent facilement. Personnellement, étant passé deux fois par la case « Embrunman » et s’étant frotté à l’écriture d’un premier récit et d’un deuxième, j’avais opté pour la franche déconnade. Valtrés a tranché pour un ton plus académique. On sourit parfois à son récit qui reste très réaliste. 

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LA TRAVERSÉE DE PYONGYANG

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Au fil des jours, la paranoïa s’installe…

Quand on voit la tête du dirigeant du pays, on se doute que les autorités de Corée du Nord n’ont pas le sens de l’humour, à fortiori lorsque l’on est journaliste et que l’on vient courir le marathon surréaliste de Pyongyang, la ville que l’on a l’habitude de décrire comme la plus fermée du monde. 

Marc Nexon est en quelque sorte infiltré dans le pays du terrible Kim Jong-un. Il est passé par une agence qui organise ce marathon unique. La course à pied est un prétexte pour palper la réalité d’une société hyper contrôlée. Au fil des jours, la paranoïa s’installe. La peur d’être découvert en tant que journaliste est alimentée par l’atmosphère plus qu’étrange de la dictature. Les immenses boulevards de la capitale sont déserts, les façades sont de simples décors, les rares habitants croisés ont des comportements étranges, les uniformes sont omniprésents ainsi que le culte de la personnalité du grand leader. Les coureurs sont cornaqués par des accompagnants qui semblent tous s’appeler « Kim », une équipe ne les lâche pas d’une semelle où qu’ils aillent. La méfiance, la suspicion s’installent. Tout semble faux dans ce pays, aucune prise sur le réel.

Quinze ans de travaux forcés pour une affiche volée

En 2016, un jeune américain, Otto Warmbier venu visiter le pays, comme Marc Nexon, prend quinze ans de travaux forcés pour avoir volé une affiche dans le hall de son hôtel. Torturé, il tombe dans le coma avant d’être rapatrié aux USA pour y mourir six jours plus tard, à l’âge de vingt-deux ans. 

Le marathon de Marc Nexon est une course dans un monde de fantômes où chaque foulée est sous contrôle. Il découvre le pays comme lorsque l’on regarde par un hublot, seule une fraction de réalité (on ne parle plus de vérité) se dévoile. Un livre étrange… comme la Corée du Nord. 

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L’alpiniste errant, journal aux pages manquantes

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Le journal d’un homme qui est en train de perdre la mémoire…

Lire L’alpiniste errant, c’est un peu désarçonnant. Extérieurement, le bouquin ne présente aucun signe distinctif : on sait juste en s’en emparant qu’on va en prendre pour plus de 200 pages de randonnées alpestres, d’escalade, d’alpinisme, d’errances physiques et spirituelles. Du classique de la littérature de montagne quoi, écrit par un gars qui en a arpenté un paquet, de montagnes, et pour cause : Fernando Ferreira accuse plus de 35 ans d’alpinisme, et n’a ni sa plume ni son œil dans sa poche. Auteur de livres, d’articles, de topo guides, d’ouvrages photographiques, l’homme est empli de montagne jusqu’à ras-bord.

Mais juger sur l’emballage serait une grossière erreur, et on le comprend vite en lisant les premières pages, notamment cette introduction présentée comme la préface de l’éditeur : « Ce manuscrit est la retranscription intégrale de deux carnets Moleskine retrouvés fin mai 2016 en Corse. […] Abîmées par l’humidité, beaucoup de pages étaient illisibles, complètement ou partiellement. […] L’intégralité des textes restaurés est reproduite dans ce livre, sans retouche, ni correction. »

La verticalité (avec les falaises), l’horizontalité (avec les femmes)

Et là, en tournant les premières pages et en lisant le début du premier carnet, on se rend compte qu’on vient d’embarquer pour un drôle de voyage. Car effectivement, ce texte qui va nous accompagner – à moins que ce ne soit nous qui l’accompagnions ? – pendant quelques heures est un texte à trous. Des mots, des phrases, des paragraphes manquent à l’appel, et peuvent nous laisser en plan au beau milieu d’une tirade. C’est spécial, étrange, déstabilisant. Certains diront que c’est dommage. Mais c’est parce qu’ils n’ont rien compris.

L’alpiniste errant, c’est la retranscription d’un journal intime sur une période de trois mois, le journal d’un homme qui est en train de perdre la mémoire. Son cerveau est touché par une saloperie qui efface petit à petit des pans entiers de ce qu’il a vécu. Et peut-être pour vivre une dernière fois avant de se perdre totalement, il erre dans les montagnes corses, et se perd physiquement pour mieux se retrouver mentalement – à moins que ce ne soit pour se perdre physiquement avant de se perdre mentalement ?

C’est voyager dans une Corse hivernale hostile…

Toujours est-il que pendant cette errance, il écrit, chaque jour. Le narrateur retranscrit ses journées, pourries la plupart du temps, avec de ci de là une fulgurance – comme dans la vraie vie quoi –, et il revit aussi ses escapades alpinistiques, charnelles et amoureuses ; il revit, en fait, ce qui l’a motivé dans la vie pendant tant d’années : la verticalité (avec les falaises), l’horizontalité (avec les femmes), et l’infini (avec LA femme).

Lire L’alpiniste errant, c’est voyager. Voyager dans une Corse hivernale hostile, où il est possible de mourir à 5 km d’une route, voyager dans le monde de l’alpinisme, avec ses batailles, ses rituels, son esbrouffe, sa pureté aussi, voyager dans les brumes de l’amour, l’amour physique, celui qui fait du bruit, qui sent, qui transpire, mais aussi l’amour absolu, celui que beaucoup ne font qu’effleurer et que seulement quelques élus ont la chance de vivre à bras le corps, pour un temps… car rien ne dure éternellement.

Ce livre est une pierre brute

Lire L’alpiniste errant, ce n’est pas prendre un grand bol d’air pur, s’enivrer de montagnes vierges, d’arêtes effilées et de bivouacs avec vue (sur quoi ?). Non, lire L’alpiniste errant, c’est finalement se plonger dans ses propres souvenirs, les confronter à ceux du narrateur, combler les vides, les manques, essayer de se souvenir, soi-même, de ses expériences, de cette première fois, de la fois la plus intense, de cette impression de vivre pleinement qu’on a pu éprouver suspendu dans le vide, juste retenu par cinq doigts, ou en bout de course d’une glissade, à deux centimètres de la bascule vers une barre rocheuse, ou au bord de l’apoplexie, à deux doigts de la jouissance imbriqué à l’amour de sa vie. Et combien de fois, au juste, ai-je fait l’amour dans ma vie ? Et l’Amour ?

Oui, lire L’alpiniste errant, c’est voyager entre le rire et le vague à l’âme, entre l’espoir et la résignation ; c’est un voyage souvent plaisant, parfois frustrant, mais tellement vrai, sans filtre, sans cette couche, ce vernis de romance, de bienséance, de bien-pensance que l’on trouve généralement dans les récits illustres de conquêtes sportives. Ce livre est une pierre brute, il en revient à chacun de la tailler comme il le souhaite : les superficiels n’y verront qu’un récit d’aventure de plus, mais avec des trous, les fouineurs l’utiliseront pour combler leurs propres vides…

Et finalement, une fois la lecture décantée, la question que l’on se posera, c’est « Qui se souviendra                                                                                                                             

                         envies, de ces espoirs,

         passage                                                 l’auteur, Fernando Ferreira

                               vivons, aimons, jouissons

                                                                                                   trop tard.

Emmanuel Lamarle

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Le Mauvais génie (une Vie de Matti Nykänen)

10

Le parcours trash d’une icône sportive

Matti Nykänen, son nom ne vous dit peut-être pas grand-chose, c’était pourtant la super star des sportifs finlandais. Matti ne s’est pas contenté de tout gagner en saut à ski, il a marqué son époque par ses frasques et son caractère insaisissable. L’histoire retient ses quatre titres olympiques, victoires à la tournée des Quatre Tremplins, coupes du monde mais aussi ses démêlées avec la justice : violences, agressions sur ses cinq femmes… Matti était le genre de génie en l’air, déséquilibré au sol qui prenait l’avion pour une coupe du monde en oubliant ses skis, se réveillait au Japon dans un avion complètement saoul sans savoir où il se trouvait… Sa fin de carrière, jusqu’à sa mort en 2019 est une descente inexorable vers la tragédie. Il fait plusieurs séjours en prison malgré une relative mansuétude de la justice finlandaise qui ne peut qu’incarcérer le héros national devant ses délits répétés. Il est devenu plus taulard qu’aigle des tremplins. Il fait ses derniers sauts en 2012. Il aura eu le temps de dilapider tous ses gains, de faire faillite plusieurs fois, de s’accoquiner avec des conseillers plus ou moins interlopes, de descendre des hectolitres d’alcool, de lancer plusieurs albums de variété risibles et de faire des concerts alors qu’il chantait comme une crécelle, il fera même serveur dans un restaurant, barman et strip teaser. « Le Mauvais génie » raconte ce vol plané, avec une fin inévitable. Ce gâchis est écrit de manière chirurgicale, factuelle. On aurait aimé parfois plus d’empathie vis-à-vis du personnage. Un petit livre sur le parcours trash d’une icône sportive. 

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Salade russe au Mont Blanc

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Des russes, des poursuivants, des bons et quelques truands

Les deux lascars auteurs nous font courir autour du Mont Blanc, après un MacGuffin : la partition originale d’une symphonie de Rachmaninov, disparue puis réapparue suite au crash d’un avion. L’intrigue prend corps, avec des russes, des poursuivants, des bons et quelques truands qui ont peu de dégaine en montagne mais qui n’hésitent pas à dégainer… justement. On a été pris par cette histoire de bandits en crampons, presque un Tarantino chamoniard : l’hémoglobine sur la neige, ça se voit mieux. L’histoire est menée comme un direct du gauche : pas de lyrisme montagnard (que la montagne est belle) ni de poncifs (Chamonix centre de l’univers). L’écriture est vive, légère, efficace, pointue et coupante comme une lame de piolet fichée dans une poitrine. On soupçonne les deux auteurs d’infuser de l’ironie dans ce récit d’action, de suspens où la montagne n’est pas qu’une toile de fond : c’est un personnage à part entière qui révèle les actions nécessaires et les risques encourus quand on ose se frotter aux hauteurs : mouflages, crampons, guides qui font la vaisselle, chutes de pierres, rimaye vorace et cordes peu tendues…

Les poulets roulent en Duster vêtus de pantalons trop courts

Ces pages ne pouvaient qu’être écrites par des gars qui ont usé leurs Vibram dans Cham (pas Chamonix) et sur les cimes. Mais il ne suffit pas de seulement déambuler pour être écrivains (s), il faut avoir l’œil (les 2) et poser un regard sur le microcosme CHX. On a aimé les poulets qui roulent en Duster vêtus de pantalons trop courts, le guide suisse Mammut qui en prend plein la poire (coup bas), des russes marinés à la vodka, des italiens qui caressent le revers de leurs vestes, un maire de Saint Gervais soupçonné d’être réac (toute ressemblance…), une moquerie de la médaille de guide, le Saint Graal… tout ça, sent bon l’impertinence. Ce petit bouquin est un bonheur, comme la bière fraiche descendue à une terrasse après des acrobaties sur une arête. 

Une vraie histoire sans rupture de style

Les deux larrons, Hervé Bodeau & Cédric Sapin-Defour se sont prêtés à l’exercice du « cadavre exquis ». Un truc un peu louche qui a consisté à ce qu’un auteur écrive un chapitre et que l’autre imagine la suite en découvrant la progression de l’intrigue. Le tout constitue une vraie histoire sans rupture de style. On vous le dit, les deux auteurs ont certainement payé un ghostwriter pour commettre « Salade russe au Mont Blanc » alors qu’ils grimpaient tranquillement quelque part dans les hauteurs. Nous ne sommes pas dupes. 

Last but not least, on adore le format de ce petit livre, il se glisse dans n’importe quelle poche et se tient bien en main, bref, l’inverse d’un Kindle…

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Skieurêveur journal d’un vagabond

08

Une glisse pure, libre et joueuse : le monoski

Les plus jeunes ne connaissent sans doute pas son nom, comme celui de Régis Rolland d’ailleurs. Pourtant, Philippe Lecadre, comme son alter ego en snowboard, a incarné une glisse pure, libre et joueuse : le monoski. On hésite encore à parler de cette pratique au passé tant elle reste présente dans nos esprits via les sensations qu’elle nous a procurées. Ce livre retrace de manière personnelle l’histoire du mono, récit indissociable de la vie de Philippe. C’est l’époque où les glisseurs de Chamonix, des Grands, tracent dans la poudreuse, sans calculs.

Avec le snowboard, l’engin le plus esthétique en profonde…

Ce n’est pas qu’une histoire de lignes, c’est du style, de la légèreté, un art de la gravité qui fait, avec le snowboard, l’engin le plus esthétique en profonde. On entend déjà ricaner certains quand on va oser dire qu’avec la disparition du monoski, c’est un pan de la culture glisse qui s’en est allée… Ces supertramp, inadaptés à l’époque, étaient hors système, libres de leurs mouvements, de fédérations (presque…) et de compétitions qui ne pouvaient que les enfermer dans un carcan. Non, les monoskieurs c’était de haut en bas, pour le beau geste : « on dévalait les pentes comme des malades, les cuisses en feu. Il n’y avait plus que le monoski qui comptait, on s’en foutait du reste ». Ils auraient même apporté des couleurs à la neige avec leurs looks… Le récit est sincère, direct, attachant, avec quelques coups de griffes mérités, de l’humour, un peu de nostalgie parfois.

Le récit est sincère, direct, attachant

On croise dans ce livre les noms et les évènements qui ont fait les folles années 80/90 : le Derby des Grands Montets, Apocalypse Snow, Eric Saerens, Philou Azaïs, Pierre Poncet, Alain Revel, Cathy Breyton, Anne Gery, Gilles Szekely, Yves Bessas, Didier Lafond, Joel Gery disparu si tragiquement, Olivier Michaud, Patrick Edlinger (oui, il était monoskieur)… j’en oublie… C’était l’époque aussi de Vallençant, Patrick de Gaillardon, Gouvy, Tony Bernos… Il faut lire Skieurêveur pour se replonger dans ces années envolées. Des réminiscences hippies que le gourou Jeff Rubin (années 60) n’aurait pas reniées : « notre message est : ne grandissez pas. Grandir, c’est abandonner ses rêves. Nous sommes d’éternels adolescents ». Pour commander et acheter le livre, cliquer sur le lien ci-dessous. 

Skieurêveur