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Ouvrage choc sur le dopage dans le cyclisme
Il est presque de salubrité intellectuelle, voire publique, de se replonger de temps en temps dans des ouvrages fondateurs, histoire de ne pas oublier ce qu’on fait certains personnages, notamment dans le cyclisme. « La course secrète », appartient à cette famille restreinte et courageuse d’ouvrages chocs sur le dopage dans le cyclisme. On se souvient, bien entendu, de Massacre à la chaine de Willy Voet (1999, J’ai Lu), de L.A Confidentiel (David Walsh et Pierre Ballester, 2004, La Martinière), From Lance to Landis (David Walsh, 2007, Ballantine Books, Rouler plus vite que la mort (Philippe Brunel, 2018, Grasset)… Tous ces livres racontent la « glorieuse » période du dopage pratiqué en quasi impunité à partir de 1998.
Un système, ou plutôt un engrenage…
La Course secrète est le témoignage incroyable et décoiffant de Tyler Hamilton, coureur professionnel qui livre au grand jour toutes les combines, tricheries auxquelles les coureurs se sont livrés en ces temps (avec cette question en filigrane : le dopage a-t-il aujourd’hui diminué ou a-t-il revêtu d’autres formes ?). La confession de Tyler Hamilton est terrible, elle décrit un système, ou plutôt un engrenage dans lequel le coureur professionnel est quasi obligé de mettre un doigt, un bras puis le cuissard entier pour finir avec son âme : une tragédie quasi faustienne. La description de cette descente aux enfers, de cet abime sans fond de solitude et de mensonges fait froid dans le dos. On finit par éprouver même de la compassion pour ces coureurs tous talentueux qui n’ont pas d’autre choix pour réussir et sortir du lot. Mais le tableau est horrible, le chemin semé de doubles voire triples vies où les poches de transfusion sanguines sont scotchées sur les vitres des bus des coureurs, où les doses d’EPO (appelées « Edgar », qui sonne comme Edgar Poe) sont planquées au fond de glacières ou acheminées par motard volant alors que les seringues sont broyées dans des cannettes de Coca et jetées bien loin des scènes de triche…
Un personnage toxique, imbuvable et malhonnête…
Ce récit embeded est comme un polar noir, au fil des révélations, on attend le châtiment final, qui, dans le cas de l’US Postal et surtout de Lance Armstrong s’est fait attendre. Il a fallu que l’individu remporte sept tours de France, qu’il menace des coureurs, qu’il se livre à des filatures et du hacking d’ordinateur/téléphones, qu’il arrose de pots de vin l’UCI (qui l’avertissait des contrôles anti-dopage), qu’il balance aux contrôleurs de l’UCI son ancien équiper de l’US Postal au lendemain de sa victoire au Mont Ventoux, qu’il mette à mort le business de Greg Lemond (dont la marque de vélo était distribuée par Trek, le sponsor de Lance), qu’il mente avec un aplomb digne d’un arracheur de dents… La litanie des vilénies de Lance Armstrong est longue comme un péplum. On savait ce personnage éminemment toxique, imbuvable et malhonnête mais quand on lit La Course secrète, l’écœurement domine. Tyler Hamilton n’avait que deux options : s’enterrer dans le mensonge ou prendre la voie des aveux et de la rédemption. Ce livre passionnant raconte ce très long chemin. Des pages à dévorer pour ceux qui auraient loupé cet épisode peu glorieux du cyclisme.