16 / 02 / 2021
Les chaussures de course à pied contenant une plaque en fibres de carbone : dopage technologique ou pas ? Faut-il les interdire ? En réalité on s’en contrefiche de l’aspect dopage : bien sûr qu’il faut les interdire. Commercialiser ce type de chaussures est juste une aberration dans le monde actuel.
Rappel : le climat part en sucette, notre planète se réchauffe façon cocote minute, les espaces naturels se réduisent comme nos libertés individuelles, les espèces disparaissent (pas les moustiques, c’est con), la pollution augmente presque aussi vite que le chiffre d’affaires d’Amazon. Je vais bien tout va bien. Il est nécessaire, nous nous en rendons tous compte (sauf un ou deux hurluberlus qui ont des intérêts à regarder ailleurs), de limiter les activités polluantes et de retrouver une certaine sobriété énergétique. D’où les Think tanks, rassemblements des grands de ce monde, recommandations de pisser sous la douche et d’aller chercher le pain à pied, et… les investigations mi-motivées mi-greenwashing des grandes marques de chaussures de course à pied.
Ben oui, il se vend tout de même chaque année, en France, près de 9 millions de paires de chaussures de course à pied. Et elles finissent (à quelques exceptions près grâce à des circuits de seconde vie comme Runcollect) à la poubelle. Et une chaussure de running, ce n’est pas vraiment neutre en termes de matériaux : polyester, EVA (éthylène-acétate de vinyle), polyuréthane thermoplastique, polyuréthane à cellules ouvertes, colles… Disons que si vous perdez votre pompe dans un bourbier, ce n’est pas en trois semaines qu’elle va se décomposer… mais plutôt en 450 à 1000 ans. Et ce n’est pas parce qu’elle aura disparu à votre vue qu’elle aura réellement disparu : elle se sera juste décomposée en microscopiques morceaux qui seront libérés dans la nature. Cool.
Les marques se sont donc emparées du sujet histoire de ne pas se faire prendre de cours par la concurrence. Au milieu de pas mal de greenwashing, On Running, Nike, Salomon et Adidas ont proposé des concepts qui semblent intéressants, mais qui ne sont encore que partiellement déployés et dont on n’a pas mesuré l’impact par rapport aux chaussures traditionnelles. Les On Cyclon sont vendues sur abonnement (29,95 € par mois) et sont échangées par la marque lorsqu’elles sont usées (deux fois par an maximum). La chaussure serait entièrement recyclable d’après la marque, mais on en doute un peu (ne serait-ce que pour les colles utilisées). Le programme reuse-a-shoe de Nike propose de déposer ses chaussures de sport usagées chez un revendeur Nike, qui les collectera et les transformera en matériau sur les terrains de basketball, les courts de tennis, les pistes d'athlétisme, les terrains de sport et les aires de jeux. Du recyclage ok, mais sur un seul cycle. Il se passe quoi une fois le terrain de sport défoncé ? Chez Salomon, la Index.01 utilise un minimum de matériaux différents, et est recyclée en grande partie lors de sa mise au rebut (chaussures de ski, textiles). Là aussi, un seul cycle semble envisagé. Enfin la Futurecraft.Loop d’Adidas est annoncée comme 100% recyclable : seulement deux matériaux, pas de colle, et une partie des matériaux produits à partir de déchets plastiques récupérés en mer. Ça semble pas mal.
Reste un détail qui est toujours oublié dans les communications des marques : l’usure des semelles sur les routes et chemins, qui produit les pires particules (comme l’usure des pneumatiques sur les routes, principale source de déchets plastiques en Suisse – 8100 tonnes par an). Allez, un deuxième : ces chaussures semblent certes sur la bonne voie, mais quelle part du marché représentent-elles ?
Parce que pour une chaussure plus ou moins recyclable (ce qui ne veut pas dire neutre pour l’environnement : il faut la produire, la transporter, la stocker, la vendre, et ensuite la collecter, la retransporter, la transformer…), combien de chaussures de pointe, intégrant des dizaines de matériaux différents, et notamment des lames en fibres de carbone, sont vendues ? Pour le carbone aussi, le recyclage est possible dans certains cas (par exemple Specialized a récemment démarré un programme de récupération des cadres de vélo pour tenter de les recycler), mais quels seront les volontés et les coûts, y compris environnementaux (transport, traitement) ? Est-ce que ça en vaut la peine ? Ces chaussures sont déjà commercialisées entre 180 (Hoka One One Carbon X) et 300 € (Nike Air Zoom Alphafly NEXT%, oui plus le nom est long et compliqué, plus la chaussure est chère), alors s’il faut y intégrer un coût de recyclage, à combien la facture va-t-elle monter ? Faudra-t-il hypothéquer sa maison pour s’aligner sur une saison de course à pied ?
Et tout ça pour gagner jusqu’à 4% de performance, selon diverses études pas toujours d’accord entre elles, pour des coureurs très bien entraînés. Le coureur lambda, lui, y gagnera surtout de l’inconfort et un découvert sur son compte en banque. Si la chaussure de running à lame de carbone a le vent en poupe, la course à pied, sport du pauvre par excellence, risque de recevoir une volée de plomb dans l’aile…
Par Emmanuel Lamarle. Photo Franck Oddoux.
Les lames carbone vont traverser les âges…
Les chaussures de running à lame de carbone :
Nike Vaporfly Next% 275 €
Hoka One One Carbon X 180 €
Nike Air Zoom Alphafly NEXT% 300 €
Adidas Adizero Adios Pro 200 €
Asics MetaRacer 200 €
Saucony Endorphin Pro 220 €
Brooks Hyperion Elite 2 250 €
New Balance FuelCell RC Elite 230 €
On Running Cloudboom 200 €